Cela faisait des mois que nous n'avions pas eu une journée de congé en commun Selena et moi, aussi avions nous sauté sur l'occasion pour une sortie entre filles avec l'adorable Neva. Autant vous dire que la petite était surexcitée, presque autant que moi ! J'avais été de patrouille de nuit pendant deux semaines, et le soleil me manquait affreusement. Non, rien à voir avec le bronzage, c'était bien la dernière de mes préoccupations ! Par contre l'air frais était vital pour moi. J'avais encore la nostalgie de mon pays, de mes promenades dans les landes... Et puis tout était si urbanisé à L.A. que parfois ça me faisait mal au cœur. Un peu de verdure me ferait le plus grand bien.

C'était une journée absolument magnifique, on n'aurait pu rêver mieux pour notre excursion au Zoo. Je trépignais d'impatience tandis qu'on faisait la queue pour entrer, à tel point que je me sentais à deux doigts de bousculer les gens qui nous précédaient pour aller plus vite. Nonobstant je prenais mon mal en patience, surtout que ce n'était pas l'exemple à montrer à ma filleule. Comme quoi je me bonifiais avec le temps, je me montrais plus raisonnable, moins agressive.

Alors que je regardais le portail d'entrée, je repensais à la première fois où j'avais mis les pieds dans cet endroit. C'était peu de temps après mon arrivée aux Etats-Unis, et notre beau-père avait réussi à nous faire sortir de nos chambres, où nous nous terrions mon frère et moi. J'avais été émerveillée par le zoo, aussi espérais-je que ce serait le cas pour Neva. C'est le genre d'endroit qui nous laisse plein de fabuleux souvenirs en mémoire.

-J'ai entendu dire qu'ils avaient de nouvelles espèce depuis ma dernière venue! dis-je avec un trop plein d'enthousiasme. Entre autre des tigres de Sumatra, des Elephants d'Asie... Il y a même des mandrills!

Les filles ne décrochaient pas un mot, et je commençais à me sentir mal à l'aise à déblatérer toute seule comme une dingue. Avec un sourire je me penchais vers Neva et lui touchait le bout du nez avec mon index.

- Tu sais, comme le sage Rafiki dans le Roi Lion. Je me redressais et fis un plus grand sourire encore à Selena. Mon dessin animé préféré.

Enfin la file avança, et on arriva à la caisse. Je me chargeais de régler les entrées, Selena ayant payée notre dernière sortie c'était à mon tour. Puis nous avons enfin passer le portail pour pénétrer dans le zoo gigantesque.

-A nous l'aventure les filles !

- Le mien aussi ma grande. Mais Neva ne l'a pas encore vu. Je sais que je l'ai en DVD dans un des cartons qui me reste à déballer, on aura qu'a le sortir et le regarder tout à l'heure ! 

Je fus presque choquée par cette nouvelle. Sans doute parce que je me souvenais de la première fois où j'avais vu ce dessin animé. Ma grand-mère avait fait l'effort de nous emmener en ville Deklan et moi pour aller voir le Roi Lion au cinéma. Autant vous dire que ça avait été comme Noël pour les gamins que nous étions, un grand moment de mon enfance. Bon d'accord, à notre époque ce pauvre dessin animé était « miteux », on était bien loin des technologies actuelles, mais cela faisait tout son charme selon moi. J'ouvris donc de grands yeux et pris un air outré.

- Comment ? Ma filleule adorée ne l'a pas encore vu ? Oh que oui, nous allons le regarder tout à l'heure, car il faut y remédier et vite!

Je terminais en rendant son clin d'oeil à Selena avant de sourire, amusée par Neva qui acquiesçait vivement de la tête bien qu'elle ne devait pas tout comprendre de ce qu'on racontait. Elle avait du capter le principal, c'est à dire dessin animé. Ah ce que l'enfance pouvait être une période merveilleuse ! Pas de responsabilité, et pas de problème du tout ou du moins pas du même genre.

- Neva Irina Romansky du haut de tes trois ans et deux mois je te prierais de ne pas exagérer. Donne la main à ta tante. T'es pas la fille de tes parents pour rien toi tient ! On dirait ton père quand tu fais ce regard là ! 

Je voyais à son regard que mon amie pensait encore beaucoup à lui. C'était si frustrant pour moi de ne rien pouvoir faire pour débloquer cette situation, de rester là impuissante en simple spectatrice ! Il y a quelques années je serais rentrée dans le tas, quitte à aller choper cet homme par la peau du coup pour le traîner jusqu'au loft où je les aurais enfermé tous les deux pour qu'ils parlent. Seulement voilà, j'avais mûri, et je savais que je me devais de me tenir à l'écart. C'était à Selena de choisir le chemin qu'elle suivrait, de décider si oui ou non le père de Neva devait faire partie de sa vie. Neva aussi avait remarqué ce regard et je fus une fois de plus épatée par cette gamine, par cette façon si sérieuse dont elle s'adressa à sa mère.

- Tout va bien ma petite fée des neige. Allez donne la main a Tatie Ash' ! 

Je fis un sourire empli de compassion à ma meilleure amie avant de saisir la petite main de ma filleule et de m'éloigner avec elle, ou plutôt derrière elle en direction des animaux.

- Regarde ma puce. Tu ne les trouves pas trop mignons ces phoques ? Je pointais les mammifères marins du doigt tandis que Neva se hissait maladroitement sur la pointe des pieds pour les admirer. Attends, viens par là... Je la pris dans mes bras et la soulevais pour qu'elle ait une meilleure vue du spectacle qu'ils nous offraient.On les appelle aussi les veaux marins. Ce que je ne comprends pas, car ils ne ressemblent pas aux vaches, pas vrai ? En tout cas ,les vaches qu'on avait au Pays de Galles n'avaient rien en commun avec eux.

Je la reposais au sol et lui tendis la main, puis un peu plus loin, on vit les alligators qui eurent beaucoup moins de succès auprès de l'enfant, et je la comprenais. Mon instinct me hurlait de m'éloigner. Ils avaient beau être enfermé, je les trouvais encore dangereux. Je tournais la tête vers Selena et constatais une nouvelle fois qu'elle semblait ailleurs, perdue dans ses pensées.

- La Terre appelle Selena, la Terre appelle Selena... Allez miss, on reste avec nous.

- Je suis désolée trésor. Je suis là maintenant ... et si ... on allait voir les lions, les tigres et les panthères ? Je suis sûre que Neva va adorer ça !

- Elle ne sera pas la seule ! Pénible comme j'étais, je n'allais pas m'arrêter là dans mon indignation. Le Roi Lion était un chef-d’œuvre, aussi remis-je une couche pour taquiner ma meilleure amie. Allons voir Simba !

Alors qu'on évoluait d'avantage dans le zoo, mon regard se posa sur Selena. Était-ce normal de ma part que d'être un tantinet jalouse ? Pas du fait que mon amie pense à cet homme, non car à la regarder cela n'avait rien de joyeux, une lutte sans merci avait lieu dans sa tête... Mais plutôt de n'avoir personne qui accapare mes pensées. Parfois je m'en satisfaisais, j'étais libre, seulement il y avait des jours où je me sentais anormale voyez-vous. Je n'étais plus si jeune, la trentaine approchait à grand pas, et ma vie sentimentale était désertique. Pas mal de monde de mon entourage était soit fiancé (voir déjà marié), soit juste en couple, ou encore avait des enfants. Et moi dans tout ça ? Non pas que j'avais envie de devenir mère, non, la mienne m'avait assez rebuté à ce niveau, nonobstant un jour ou l'autre mon horloge biologique s'éveillerait, et un signal d'alarme envahirait mon être. Et une chose était sure, si – et je dis bien « si » - je décidais d'avoir un petit bout de choux à mon tour, ce ne serait pas seule. Ce combat n'était pas pour moi. Mais surtout, rien que le fait d'avoir quelqu'un dans sa vie, qui vous prend dans les bras lorsque vous allez mal, qui partage vos rires... Ça écorcherait la jeune femme indépendante que j'étais de l'admettre, cependant ça me manquait.

Par chance j'étais bien entourée, j'avais des amis attentionnés que je voyais régulièrement, un frère qui répondait toujours présent en cas de coup dur... Pas vraiment de quoi me plaindre car je n'étais pas si seule que ça en fin de compte. Et voir ma filleule gambader, débordante de vie, dans le zoo intensifia ce sentiment. A défaut d'être mère, j'étais une marraine. Bien que maladroite, je faisais de mon mieux pour participer à sa vie. En sa présence je faisais toujours un effort de langage, et je faisais mon possible pour la faire rire. Je n'étais peut-être pas un modèle à suivre, mais je faisais tout pour m'en approcher.

-Une glace ça vous tente ?

La réponse de la petite ne se fit pas attendre et des cris de joie s'élevèrent dans les airs. Son humeur était communicative, aussi tapais-je dans mes mains en me penchant vers Neva en lui faisant de grands sourires complices, avant de me tourner vers sa mère pour lui répondre.

- Tu nous prends par les sentiments. Tu sais très bien qu'on ne résiste jamais à l'appel de la crème glacée !

Je ne pus m'empêcher de rire lorsque la blondinette s'agita à la recherche de cette glace promise alors qu'on se dirigeait vers le café.

-Oui ta toujours eu une affinité particulière avec lui ! Aussi butée, aussi indépendante, aussi gonflée, aussi désobéissante et aussi agaçante que lui !

Cette remarque m'avait fait éclater de rire. Il était vrai qu'il y avait des similarités entre ce personnage de dessin animé et moi. Je pouvais être une véritable sale gosse et ce encore malgré mon job. Mais je n'en étais nullement vexée qu'on me le dise, car je l'avais toujours su et que j'en avais toujours été fière. Selon mes proches, c'était ce qui faisait de moi un être hors du commun. Et ça, ça ne pouvait être qu'une bonne chose, non ?

- Attends une minute... C'est vrai ! Je lui ressemble beaucoup ! Donc... Je serais peut-être la prochaine présidente des États-Unis, cool !

A défaut de la Terre des Lions, les States, c'était pas trop mal. Et en tant que présidente, je pourrais me donner le pouvoir absolu sur les conneries qui passaient à la télévision. Car jusqu'à présent, il s'avérait que j'aimais les séries qui finissaient toujours pas être annulées alors que j'avais en horreur les daubes qui passaient depuis plusieurs années. Et je laisserais les responsabilités aux autres blaireaux du gouvernement... Je sais, le pays sombrerait rapidement, mais je m'en foutrais, je serais présidente, j'irais me planquer dans un bunker top secret. Et je laisserais la population s'étriper. J'avais remarqué la façon dont mon amie me regardait depuis tout à l'heure, et je sentais qu'une discussion sérieuse et dérangeante pour moi approchait.

- Est ce que ça va toi ? Je veux dire, vraiment ? Sans mensonge, sans chichi, sans vouloir atténuer quelque chose. Dis moi si tout va bien pour toi ...

Merde alors ! Comment faisait-elle ça à la fin ? J'affichais pourtant mon sourire le plus nonchalant là, non ? A chaque fois c'était la même histoire lorsque j'avais un coup de blues. Je faisais toujours de mon mieux pour le cacher aux autres, et cela fonctionnait, sauf avec quelques rares personnes dont Selena. C'était plutôt agaçant, n'étant pas le genre de fille qui aime s'épancher sur ses problèmes affectifs. Après tout j'étais Ash', une fille déjantée, un peu hargneuse sur les bords et qui ne fait rien comme tout le monde... Pas vraiment dans le style Dawson qui balance ses sentiments et soucis à la tête de tout le monde.

- Oui et non... Bon sang ce que c'était difficile à sortir, tellement peu naturel ! J'inspirais à fond. Bon, en fait non, pas du tout.

Je concluais par une grimace, dépitée. Pour l'instant j'appréhendais totalement ma « confession ». Je pressentais surtout que j'allais être ridicule avec mes problèmes de célibataire endurcie. Mon instinct me hurlait de changer de sujet, là tout de suite, ou bien de mettre les voiles le plus vite possible. Il y avait une lutte entre la petite galloise sans amie qui a la tête sur les épaules et qui a appris à avancer seule et la californienne vivant en colocation avec sa meilleure amie pour la vie et qui est devenu flic pour « sauver le monde ». Mes deux univers semblaient vouloir fusionner, or d'après les films de science fiction que j'ai pu voir à la télé, c'est jamais une bonne chose. Je ne voudrais pas non plus déclencher l'apocalypse hein.

- J'ai l'impression de stagner dans ma vie. Depuis que je suis entrée à l'école de police, j'ai mis mon boulot en premier plan, oubliant un peu tout le reste. Et même pour ça je ne me donne pas à fond, j'ai... peur de me lancer.

Eh oui, je pouvais me montrer faible. Qui l'eut cru pas vrai ? Moi, l'ancienne morveuse qui ne craignait pas les gamins plus grands et qui allait jusqu'à les attaquer, j'étais terrifiée à l'idée d'avancer. Et bien qu'il y a quelques secondes j'étais obnubilé par mon statut de solitaire j'admettais enfin le réel soucis. Ce n'était pas seulement le fait de ne pas trouver d'homme pouvant m'aimer, mais plutôt de rester bloquée, de faire du sur place depuis tant d'années. Je n'avais ni mec, ni boulot réellement motivant.

- Vois-tu, d'ici quelques mois, il va y avoir un examen pour passer lieutenant. Je veux dire... j'ai fait la fac, je suis diplômée et tout et tout, donc ce n'est pas un stupide examen de flic qui devrait me filer les ch'tons ! Et pourtant, je reste là comme une idiote à passer tous les jours devant le formulaire d'inscription, incapable de me jeter à l'eau. Je peux me lancer dans une course poursuite sans réticence, mais là, pas moyen. Un bout de papier ! Je suis mortifiée par un pu... je me retins à temps et lançais un regard inquiet à Neva, mais non, elle n'avait pas remarqué que tata Ash' avait faillit dire un gros mot par un fichu bout de papier qui me harcèle jour et nuit ! Et à tous les coups, avec la chance que j'ai, tant que je n'aurais pas réglé cette histoire, ma vie stagnera. Et je finirais sûrement par me haïr.

Et je savais haïr comme personne. Or je ne voulais pas finir comme ces gens qui se détestent mais qui passent leurs nerfs sur les autres. Non, je voulais de nouveau être heureuse et fière de moi. Sourire en me réveillant, à l'idée de la journée qui s'annoncerait, pleine de promesses.

- Tu n'as jamais eu de doute quant à ce que tu voulais faire ? Jamais eu... peur ?