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 (R) ❝ what's the hell are you doing here, bro ?

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MessageSujet: (R) ❝ what's the hell are you doing here, bro ?   (R) ❝ what's the hell are you doing here, bro ? EmptyMer 17 Juil - 22:38

Putain de merde ce qu'il fait froid. Adossé à un mur, j'me sentais un peu tanguer d'avant en arrière, comme si j'me tenais sur le pont d'un bateau agité par des flots véhéments – ce qui est assez con, parce qu'en soi j'sais très bien que j'ai les deux pieds bien encrés sur terre, mais ce qui est chiant, c'est que j'avais une sensation de mal de mer en restant parfaitement immobile. Ce qui craignait singulièrement aussi, c'était que mes yeux refusaient de rester ouverts plus d'une fraction de seconde – ils piquaient de fatigue j'suppose, enfin, ça c'est bien l'excuse qu'on est tous prêt à inventer pour excuser nos excès. En attendant, ils arrêtaient pas de ciller, et j'présume que je devais passer pour un ahuri fini parce que plusieurs personnes se sont retournées vers moi. Bande de cons. J'crois même qu'une pauvre petite vieille s'est permise de me donner quelques tapes sur le sommet du crâne, pour me réveiller. C'est triste à dire, voire même dégueulasse, mais j'ai horreur de l'odeur des vieux ; j'me suis sentis tressaillir de la tête aux pieds à son contact. Mais la présence même de cette vieille était peut-être faussée, puisque ma vision elle-même semblait s'être découpée en divers clichés plutôt étranges. J'ai horreur d'être dans un état pareil, du style pas pouvoir distinguer le vrai du faux. C'est une chose qui est trop perturbante pour être en soi, appréciée et j'me demande sincèrement des fois - à mes heures perdues comme à cet instant - comment font les mecs qui se cament au LSD, à la coke, ce types de conneries de merde. En fait, j'me demande surtout comment ils peuvent venir à en désirer encore, et encore, et encore, genre ils sont fous je crois bien ; c'est bien ça qu'ils disaient les philosophes, non ? Que le fou c'est celui qui se répète en espérant un résultat différent du précédent ? Un truc du genre, j'sais plus. À vrai dire là tout de suite, je sais plus grand-chose. J'aurais même pu oublier jusqu'à mon prénom. J'crois même que pendant un long moment, j'suis resté là comme un con, sans rien faire. Un pauvre con qui a juste perdu la notion du temps. Dans un sens, c'était pas si désagréable ; seulement je commençais sérieusement à avoir froid. Quel temps de merde.

Heureusement, j'étais pas loin de la baraque où créchait Andreas. Je savais pas quelle heure il était – ça fait bien longtemps que la montre que je porte au poignet gauche s'est arrêtée, depuis notre voyage au Venezuela sans doute – ni même s'il était actuellement chez lui, puisque c'était un oiseau de la nuit, tout autant qu'il pouvait voler le jour. De toute façon, j'savais que je pouvais venir quand je voulais, à n'importe quelle heure. C'est lui qui me l'avait dit, tellement de fois que j'ai même commencé à me demander s'il avait pas parfaitement capté que moi, j'avais nul part ailleurs où aller. Il a jamais posé de questions, et dans un sens, j'préfère ça. Parce qu'en général, mes réponses paraissent sibyllines à la compréhension des autres, et Andreas ne ferait pas exception sur le fait que j'vis dans la rue, sur un tas de carton aménagé de telle sorte à rendre le trottoir moins inconfortable. Il comprendrait pas. Et j'sais bien aussi que s'il me venait l'idée débile d'essayer de justifier ma situation, j'finirai par me paumer dans ma propre explication. Parce qu'en soi, y en a pas vraiment, si ce n'est que j'me sens parfaitement bien comme ça. Quand j'y pense, c'est juste que j'ai tellement pas de fric, que je finis là où on en a le plus besoin. Ça veut pourtant pas dire que j'fais l'aumône ou quoi ; ça serait tellement cliché entre nous, j'aime pas les stéréotypes ; du style, le mec métissé à la vie dure qui finit dans les rues pour mendier sa vie, un truc à la David Copperfield, une histoire de merde qui n'est pas la mienne en soi. Moi, j'me débrouille très bien comme ça ; j'me sens juste libre comme l'air, affranchi d'un monde matérialiste,  comme lorsqu'on était sur la route, lui et moi.

Je portais toujours mes affaires avec moi, partout où j'allais. Des fois pourtant, histoire de pas éveiller trop de soupçons autour de moi, j'laissais des sacs dans des casiers à la gare et c'était bien pratique pour moi, ça m'évitait de m'encombrer de choses inutiles ; par exemple, un téléphone portable que je n'avais jamais sur moi, ou bien des costumes et des cravates que j'mettais seulement pour les rares embauches que je me décidais à passer. Honnêtement, j'avais besoin que de deux paires de jeans, quelques t-shirts et ma bonne vieille veste en cuir pour me sentir bien. J'me baladais seulement avec mes bouquins sur le dos – Dickens, Withman, Austen, Salinger – et un vieux calepin qui avait vu du pays. À chaque foulée, j'sentais mes idées devenir plus claires ; l'air frais me faisait un bien fou. Mon énergie habituelle bouillonnait au creux de mon ventre, pourtant je n'aspirais qu'à une chose, m'allonger l'espace de trois petites heures, juste pour pouvoir assumer les cours que j'aurais à l'UCLA vers midi. J'suis arrivé dans le couloir insalubre de son bâtiment, et j'suis monté jusqu'au loft où il habitait, juste sous les toits du vieil immeuble. C'est ce que j'appréciais bien chez Andreas ; il avait beau être pété de thunes, il vivait aussi simplement que possible, enfin, dans une certaine mesure. J'ai actionné la poignée de la porte qui ne me posa pas la moindre résistances, et levais les yeux au ciel ; plus inconscient que lui, tu meurs. C'est vrai, il avait toujours cette sale manie que de laisser les portes et fenêtres déverrouillées. Presque comme une invitation à pénétrer les lieux, genre. Je refermais doucement derrière moi et laissais glisser mon sac au sol, dans un bruit furtif. L'appart' était en vrac, et c'est à peine si j'pouvais distinguer quoi que ce soit dans la pénombre ; j'ai dû plisser les yeux et froncer les sourcils, comme un aveugle qui tâte devant lui. J'allais pousser un soupir, lorsque soudainement mon pied percuta un truc mou au sol, me faisant chuter en avant. « Putain, con ! » jurai-je subitement. Un mouvement à ma droite. Ce qui m'avait fait chuter, c'était juste le corps d'Andreas. « Mais qu'est-ce que tu fous par terre mec ? » grognai-je, me laissant retomber sur le dos, n'ayant pas même la force de me redresser.
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