"Tu veux faire quoi?"

La voix de Dave, stridente et puissante s'éleva dans tout l'appartement, dépassant bien la chambre d'Ava. Ava se contenta de rouler des yeux, plus qu'habituée aux cris. Elle adorait Dave, du fond du coeur, mais il rentrait sans aucune difficulté dans tous les clichés gays que la télévision et autres médias lui avaient montré toute sa vie. Rien que là sa réaction était complètement disproportionnée. Mais Ava se garda bien de lui faire remarquer, pas la peine de jeter de l'huile sur le feu, alors qu'elle arpentait sa chambre, dans des sous vêtements noirs, à la recherche de la tenue parfaite. Et non, quand on était enceinte, la notion de vie privée  n'existait plus, surtout pas quand on vivait avec un couple gay. Ava n'allait pas se plaindre, elle avait sa chambre, et elle le répétait, ce n'était pas son genre de se plaindre. Mince, où était sa robe bleue? Non pas la bleue mauvaise idée, peut être qu'elle devait porter la robe noire à pois blancs, ou même sa longue jupe et son chemisier blanc, un cadeau de sa mère. Non. Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, aucune tenue ne lui paraissait assez ... assez... assez bien. Pas assez pour cacher le fait qu'elle était enceinte. Juste de trois mois, elle n'avait pas encore commencé à grossir, son ventre était légèrement rebondi mais à part ça, pas moyen de savoir qu'elle était enceinte, une très bonne chose selon la blonde. Elle finit par pousser un soupir et s'asseoir sur son lit, au milieu d'un tas de vêtements, les deux mains sur son visage, Dave s'était lancé dans un discours dont lui seul avait le secret. Please, not today.

Ava leva une main pour le faire taire, et faisant de son mieux pour afficher son plus beau sourire, elle prit enfin la parole. "Écoute Dave, ce n'est pas grave, on peut toujours prendre rendez vous la semaine prochaine, okay?" C'était tout Ava, elle utilisait un ton qui se voulait rassurant et réconfortant, alors qu'à l'intérieur, elle-même avait envie d'hurler. Dave se calma un peu et roula des yeux avant de répondre. "Je... Ça nous a pris une éternité pour avoir ce rendez vous. C'est toi qui a voulu venir à L.A, c'est toi qui a décidé de changer de gynécologue à la dernière minute Ava... et maintenant... tu ne veux pas aller à ta première échographie... Ma chérie je ne comprends pas, est-ce que tu es en train de changer d'avis?" Ava manqua de rire à cette phrase. Il ne la connaissait pas, il ne la connaissait pas sinon il saurait que ce n'était pas son genre de changer d'avis comme il le disait si bien, elle n'était plus une gamine effrayée dans un uniforme de cheerleader déformé par son ventre de femme enceinte, elle savait ce qui l'attendait, elle savait que ce bébé n'était pas le sien. Elle avait accepté son sort depuis longtemps, ce qu'Ava voulait à tout prix garder, c'était sa liberté. Pas question qu'on l'enferme et qu'on l'oblige à se rendre chez le médecin si elle ne voulait pas. Elle fit un signe à Dave et il vint s'asseoir à côté d'elle. "Je ne change pas d'avis, okay? Il faut juste... J'ai besoin de m'occuper de quelque chose avant de pouvoir voir le bébé, vraiment. Il faut que je le fasse, c'est juste... Comme ça c'est tout." Ava fonctionnait à l'instinct, depuis sa première grossesse, elle avait toujours écouté cette petite voix que la plupart des gens décidaient de faire taire. Pas Ava, pas depuis que sa mère n'était plus une partie importante de sa vie.

Elle était libre, elle vivait comme elle le voulait et elle savait que si jamais elle voyait ce bébé, cet être avec un coeur qui bat à l'intérieur d'elle avant d'avoir vu son frère en chair et en os, elle ne se relèverait pas. Elle n'y arriverait pas, tout ce qu'elle faisait, ce détachement total vis-à-vis de sa propre grossesse nécessitait une force qu'elle n'avait pas certains jours. Et pas aujourd'hui, on ne pouvait pas lui demander de songer à son futur alors qu'il y avait toujours ce passé inconnu qui la rongeait de l'intérieur. Ava poussa un soupir avant de poursuivre. "Juste une après midi, c'est tout ce dont j'ai besoin, après tu pourras me traîner chez le médecin si tu veux, d'accord?" Sans même attendre la réponse de l'homme, Ava attrapa une robe qui traînait là, noire, parfait, au moins ceci serait en accord avec son humeur de la journée. Elle demanda de l'aide à Dave pour fermer la fermeture éclair et il le fit, la complimentant. Non, Ava n'était pas jolie elle était... Elle était quelque chose, mais définitivement pas jolie. La blonde décida de se laisser les cheveux détachés et elle agrémenta sa tenue de talons aiguilles et de lunettes de soleil de la même couleur. Allait-elle à un enterrement? Chris se retint sans doute de poser la question alors qu'elle passa dans le salon pour déposer un baiser sur son front. Sûrement, oui, son propre enterrement, c'était elle qu'on allait mettre en terre, elle et tous ses souvenirs complètement faux et sa vie passée, tout allait changer, elle allait pouvoir rêver. Trouver l'adresse des autres Sparks de la ville avait été facile, se dit Ava alors qu'elle rentrait dans un taxi, une simple virée au commissariat du coin, un petit mensonge et voilà. Des gens bien visiblement, qui n'avait rien à se reprocher, oui, Ava pouvait déduire tout ceci d'une simple adresse. Son coeur battit à tout rompre alors qu'elle fut déposée devant une maison. Elle sortit du taxi doucement, son regard s'attardant sur la haie, puis sur la porte d'entrée. Une maison normale, pour une famille normale. Tout allait bien, elle avait peut être sa place ici, peut être qu'ils pourraient l'accueillir et la réconforter et que tout irait bien.

Mais Ava avait appris depuis longtemps que les portes cachaient bien des choses et que les gens faisaient toujours de leur mieux pour bien paraître. Elle prit une profonde inspiration et montée sur ses talons qu'elle ne pourrait plus mettre dans quelques semaines et elle sonna à la porte. Et Ava attendit, le souffle court, le coeur battant et quand enfin la porte s'ouvrit, son sourire si bien travaillé avait tout simplement disparu, pour laisser place à une expression de peur totale. Parce que c'était une mauvaise idée pas vrai? Elle n'avait rien à faire ici, sa mère avait sûrement raison et il la jetterait dehors aussi et... "Luya?" Ava avait réussit à parler, déconcertée par le jeune homme en face d'elle. Était-ce lui? Était-ce Luya? Elle le savait, elle le savait. Pourquoi? Parce qu'elle avait déjà vu ses yeux si bleu quelque part et la courbe particulière de ce nez là aussi... elle les avait déjà vu. Sur elle-même. Elle resta bouche bée pendant quelques secondes avant de se reprendre, se passant une main sur le visage pour essuyer les larmes qui menaçaient d'arriver. "You probably gonna think that this is weird and I'm deeply sorry but..." Elle prit une profonde inspiration, ses yeux dans ceux de Luya. "I'm Ava Sparks... And I think I'm your sister.

Spoiler:

Une étincelle ne se voit pas en plein jour, on la distingue à peine. Elle est trop brève, trop éphémère, à peine arrivée qu’elle s’éloigne déjà, morte avant même d’avoir pu songer à exister. On ne la distingue que la nuit, dans la pénombre, dans le ciel gris de l’automne, dans les soirées d’hiver où le ciel noir étouffe la terre sous un épais couvercle. Tout n’est qu’obscurité, tout est calme, tout est silencieux. Et quand la nuit n’était pas là pour apaiser l’esprit de Luya, il la provoquait, d’une manière ou d’une autre, fermant les yeux toute la sainte journée, laissant ses paupières recouvrir ses yeux fatigués. Il était bien, là, sous sa couette, après avoir passé sa nuit à travailler. Il ne devait faire aucun bruit, être le plus discret possible, faire semblant de ne pas être là, et autant dire que Luya excellait en la matière. S’il fallait même retenir sa respiration l’espace d’un instant, il l’aurait fait volontiers. Ne pas être visible, s’éteindre à petit feu pour laisser sa place à d’autres, à ceux dont le nom était assez lumineux et flamboyant pour éclairer des populations entières. Lui se contenterait d’être invisible...

Oh, but sometimes he was shining. Not too bright, not for too long, just one tiny little second, just to be sure someone could notice him and ackowledge his existence. Voilà ce que Luya était, jusque dans son nom, au plus profond de son être. Une étincelle dans la pénombre, une étoile dans la nuit noire que seul Scott avait remarqué. Et pendant des années, Luya avait lutté, il avait tenté de rester inaccessible, d’être un rêve, ou plutôt un cauchemar. Quelque chose qui n’existait pas vraiment, qui n’avait pas pris la peine de se dire que sa présence pouvait être utile, qu’elle aurait pu éclairer une autre âme, la guider même si toutefois il se donnait la peine de scintiller assez longtemps. Il voulait être éphémère, un coup de vent, une brise, un souvenir. Qu’on se rappelle de lui en se demandant s’il avait été réel ou si c’était encore le ciel qui nous avait joué un tour... Luya s’était tourné dans son lit, les rayons du soleil frappant les volets de sa chambre avec une telle force qu’ils parvenaient tout de même à illuminer la pièce. Il soupira une première fois avant de regarder l’heure. Il avait encore passer la matinée à dormir et l’après-midi commençait même à pointer le bout de son nez. Le jeune homme était bien sous sa couette pourtant, dans le pyjama que sa mère lui avait offert pour son dernier anniversaire, bien à l’abris dans ses draps. Rien ne pouvait lui arriver ici, pas vrai ? Mais il devait néanmoins se lever, prendre une douche, se coiffer, se raser et... Bref, être impeccable. Irréprochable. Le parfait petit Sparks devait à tout prix rentrer dans le bon moule.

Il effectuait chacune de ces tâches avec le plus grand soin, repassant plusieurs fois son peigne dans ses cheveux lorsqu’il n’était pas tout à fait satisfait, perdant un temps fou devant son miroir tandis que la mousse à raser lui recouvrait la moitié inférieure du visage. Une fois cela fait, il se saisit de son téléphone portable avant de dévaler les escaliers pour aller se réfugier dans la cuisine où sa mère avait pris soin de lui laisser un mot pour lui dire qu’elle était sortie faire quelques courses et qu’elle n’oublierait pas de racheter du lait, breuvage que Luya consommait presque dans des quantités industrielles. Jetant un rapide coup d’oeil à son téléphone, il remarqua alors qu’il avait manqué un appel. Scott. N’était-il pas censé être au travail ? Luya fronçât les sourcils, et tandis qu’il rappelait l’infirmier, il ouvrit la porte du réfrigérateur histoire de trouver quelque chose à se mettre sous la dent. « Hey ! J’ai vu que tu avais essayé de m’appeler... J’étais en train de m’habiller. » Il referma la porte du frigo. Rien ici qui lui donnait suffisamment envie. « Non, je me suis levé il y a une heure à peu près mais j’ai mis un peu de temps à me préparer... » Il se dirigea vers la commode qui se trouvait juste sous la fenêtre. « Pourquoi est-ce que tu voudrais que je t’appelle quand je suis encore dans mon lit ? » Il ouvrit un tiroir, ravi d’y dénicher enfin quelque chose de comestible. « Scoooott, arrête de dire des trucs pareils. » Ne laissant aucune trace de son passage près de ce meuble, il regagna ensuite le bar pour s’y installer. « Non, je ne rougis pas. Je... Mais... Mais arrête. » Jetant un coup d’oeil rapide autour de lui, il prit soin de vérifier que sa mère n’était pas rentrée entre temps avant de reporter toute son attention sur sa plaquette de chocolat. « ... Mais tu es tout seul là ? Tu n’es pas au travail ? » Il refusa pourtant d’en couper un carreau, plaquant plutôt son crâne contre sa main, son coude posé sur le comptoir. « Ne me dis pas que tu parles comme ça devant tes collègues...... Mon Dieu, Scott, je... »

On sonna à la porte, provoquant un sursaut chez Luya. Ses joues étaient sûrement bien trop rouges pour qu’il puisse aller ouvrir dans un état pareil, et respirant un grand coup, il abandonna son chocolat noir dans la cuisine, se dirigeant vers l’entrée en essayant de reprendre ses esprits. « Ne quitte pas, on sonne à la porte. » Luya ouvrit à l’inconnue d’un air un peu distrait, son coeur battant à tout rompre dans sa poitrine, gêné d’avoir encore de nombreuses images peu appropriées dans la tête. Il acquiesçât simplement lorsqu’on évoqua son prénom, son téléphone toujours plaqué contre son torse alors qu’il faisait patienter Scott, son autre main tenant la porte ouverte. Il était déjà trop distrait pour se rendre compte que rares étaient les personnes à connaître son prénom, encore plus celles qui parvenaient à le retenir... Il aurait sûrement dû réaliser que ce n’était pas une visite banale, surtout en voyant l’expression apeurée de cette jeune femme... Mais son esprit était ailleurs, il était quelque part vers Scott, toujours et inlassablement auprès du grand blond. Pourvu qu'il puisse expédier cette conversation le plus rapidement possible pour pouvoir discuter avec celui qui était toujours au bout du fil.

Il ne comprit que lorsque l’inconnue passa une main sur son visage, comme si elle était sur le point de s'effondrer. Est-ce que quelque chose s’était produit ? Est-ce qu’on allait lui annoncer une terrible nouvelle ? Incapable de bouger ou d’émettre le moindre son, il attendit patiemment que la sentence tombe, s’armant en silence et se préparant au pire. « I'm Ava Sparks... And I think I'm your sister. » La minute qui s’écoula ensuite fut certainement la plus longue de toute l’existence de Luya et de... De sa soeur. Sa soeur. Luya avait une soeur. Non, clairement, c’était une blague. Ce n’était pas possible. Son coeur se fendit dans sa poitrine. On lui avait menti. On leur avait menti, à eux, à Adam et lui... On leur avait menti purement et simplement, lâchement même. Ou bien était-elle ici pour prétendre qu’elle était des leurs et... Récolter sa part du butin ? Non, il n’y avait pas de butin, pas de magot, pas de quoi être fier de faire partie des Sparks, ceux qu’on remarquait à peine et qui n’existaient que dans le noir...

Luya déglutit difficilement, ne sachant plus quoi faire ou dire. Peut-être était-ce une erreur après tout ? Il y avait sans doute d’autres Sparks aux quatre coins du monde, peut-être recherchait-elle un autre foyer ? Non, elle l’avait appelé par son prénom. C’était le premier mot qu’elle avait prononcé. Luya. Combien de Luya Sparks pouvait-il y avoir sur cette terre ? Un seul. Un unique exemplaire qui ne se sentait pas pour autant unique ni même exceptionnel. Sa main quitta doucement sa poitrine pour remonter jusqu’à son oreille, son regard ne quittant pas les yeux bleus de cette... De sa... Non. « Scott, I’m gonna have to call you back. No no no, it’s fine it’s just... I’ll tell you everything tonight alright ?... » Il n’attendit pas vraiment la réponse de Scott, de toute manière il n’était plus capable d’entendre un mot de plus. Tout semblait flou à présent et le moindre de ses sens paraissait confus. Il y avait même de grandes chances pour qu’il ne se souvienne jamais de cet instant, comme si toutes ses fonctions intellectuelles et sa mémoire s’étaient soudainement mis en veille. Luya n’était tout simplement plus là, agissant de manière détachée et ne cherchant plus vraiment à comprendre ce qui se passait. « Well... I... well. I... Erm... Come on in then... » Il se décala d’un pas pour la laisser passer, toujours aussi interdit face à cette nouvelle et refermant la porte derrière eux il repartit aussitôt vers la cuisine, ouvrant le frigo au passage comme s’il avait oublié qu’il l’avait déjà fait et qu’il n’y avait pas trouvé son compte. « Have a seat. Do you want something to drink ? We have... We have like... Erm... How do you say your name was again ? » Mais il répondait déjà pour elle, toujours planté comme un piquet devant le réfrigérateur qu’il maintenait grand ouvert. « Sparks, yes, right. Sparks. Sparks... Or maybe you’re hungry ? » Son regard oscillait ne parvenait pas à rester en place plus d'une seconde, et se tournant une énième fois vers Ava, il continua son interrogatoire. « Where do you come from anyway ? » Il passa une main sur son visage comme pour tenter de reprendre ses esprits. « Sorry, I didn’t mean to be rude or anything... I’m just... I’m sorry. »

C’était exactement dans ce genre de moment que Luya regrettait qu’il ne fasse pas déjà nuit pour qu’il puisse enfin disparaitre.

Cette rencontre... Ava en avait rêvé. D'une manière étrange, car elle ne savait pas vraiment à quoi ressemblait Luya. Mais bon... On ne pouvait pas l'empêcher de rêver, tout comme personne ne pouvait lui dire de ne pas se rouler sous ses couvertures la nuit pour caresser son ventre légèrement rebondi. Personne ne pouvait vraiment comprendre, ni Dave, ni Chris, ils vénéraient son corps car elle était capable de donner la vie, elle haïssait son corps pour la même raison. Oui, elle pouvait donner la vie, oui, elle pouvait engendrer un autre être humain, mais aimer... Ça... Aimer, Ava n'était pas certaine de savoir comme le faire. Sinon comment expliquer que sa mère avait décidé de tout prendre en charge dès son plus jeune âge? Parfois, la jeune femme n'était pas toujours aussi fâchée avec sa mère, parfois, elle la comprenait, se disait qu'elle avait fait du mieux qu'elle pouvait avec un père absent et un enfant qui braillait. Les cris d'un nouveau-né, Ava n'avait eu qu'à les endurer une seule fois, à l'hôpital, juste avant qu'on lui ôte le bébé des bras. La première fois, l'adolescente qu'elle était avait hurlé aussi, elle n'avait pas compris que cela signifiait que son bébé était en bonne santé, elle avait eu l'impression qu'ils se comprenaient tous les deux, ils n'étaient pas si différents que cela au final, et puis ce bébé, n'était qu'une extension d'elle-même, alors c'était normal, naturel, qu'il hurle aussi, pas vrai? À l'unisson avec sa mère. Et puis le bébé, les cris du nouveau-né avaient disparu et Ava avait continué à s'époumoner, comme une taré, parce qu'il ne lui restait plus rien que ses mèches blondes collés à son visage à cause de la transpiration et ses jambes écartés et tout ce sang juste-là. C'était son enfant, son bébé. Elle n'avait pas compris, pendant une fraction de seconde, elle avait oublié, et puis une infirmière lui avait attrapé la main et lui avait dit que tout allait bien, on avait épongé son visage et Ava se rappelait avoir pleuré et elle s'était endormie. Quand elle était revenue à elle, sa mère signait déjà la décharge pour la faire sortir de l'hôpital. "Tu as une mine affreuse." Voilà les seuls mots que lui avait offert sa génitrice avant de lui balancer ses vêtements à la figure.

C'était ça la réalité, Ava avait très vite après que ça n'était rien d'autre que cela, rien d'autre que quelque chose de terriblement long et de terriblement épuisant et elle n'avait véritablement vécu que pendant les secondes où on lui avait dit de pousser, de respirer et qu'on lui avait arraché la vie, sanguinolente et bouillante, qu'on l'avait arraché de ses entrailles. Ce n'était rien d'autre que cela la vie, juste un cercle vicieux, trop de souffrance, elle aurait été un peu plus courageuse, elle aurait fini par se jeter d'un pont. Trop de fois, la blonde y avait songé, elle avait failli le faire lors de sa deuxième grossesse, elle était tellement proche, les cheveux dans le vide et elle avait fait tomber sa chaussure, et le bébé avait bougé, là, au chaud dans son ventre, comme pour lui rappeler qu'elle ne devait pas être égoïste, qu'il n'y avait pas que sa propre vie en jeu. Oh alors comme ça tu veux essayer? Voir si tu te débrouilles mieux au jeu de la vie que moi? Voilà ce que la blonde avait murmuré à son ventre avant de s'éloigner du vide, s'éloigner pour rentrer chez elle. Très bien, la blonde ne décidait pas, elle ne décidait jamais vraiment. Cependant, avec Luya, elle avait eu le choix. Elle aurait pu l'ignorer, continuer son train de vie en lui disant merde, elle n'avait pas besoin de savoir qui il était pas vrai? Il n'était pas une pièce du puzzle, il n'était rien. Mais non, elle était là, le coeur battant, dans sa robe noire, elle était là parce qu'elle prenait une décision, probablement la première de toute son existence. Elle voulait croire, croire que quelque chose de bon et de simple pouvait lui arriver, croire qu'elle avait un frère qui pouvait juste être... ça. Un frère, un soutient, quelqu'un qu'elle pourrait protéger, quelqu'un qui ne la connaissait pas encore, quelqu'un qui ne la détestait pas encore. This is me, look, I can be good, I can be sweet, I can be perfect, you just have to let me try. Elle avait tellement merdé au cours de ces dernières années, et changer n'était pas quelque chose de facile à faire, mais elle le voulait, elle voulait essayer, pour quelqu'un pour Luya. Elle avait donc pris une profonde inspiration et elle était là, devant lui, Luya. Elle afficha un petit sourire crispé tandis qu'il l'invitait à rentrer et Ava pria tous les dieux pour qu'on ne voit pas qu'elle était enceinte et elle le suivit. Elle conserva le silence et se força à fixer le dos de Luya et non pas son nouvel environnement, pas cette maison qui n'était pas la sienne. Dans la cuisine, Ava respira enfin. Elle avait les mains tremblantes et elle préféra croiser les bras sur sa poitrine pour se donner un peu plus de contenance. Elle était ridicule... Peut être qu'elle pouvait encore partir?

Luya était... dérangé par sa présence, Ava n'osait même pas le regarder, de peur qu'il la foute à la porte, non, elle fixait ses pieds, elle avait l'impression d'être redevenue cette petite fille que sa mère avait surpris en train de jouer avec son maquillage. Elle avait rit, elle avait flanqué une gifle à Ava et lui avait dit que ce n'était pas pour elle, pas pour l'instant. Luya serait-il aussi cruel, aucun moyen de le savoir. Ava poussa un soupir et se força à lever les yeux, elle était tellement courageuse en temps normal, toute cette énergie ne pouvait pas s'être tout simplement envolée pas vrai?  "You're not rude... I should be the one leaving or... at least apologizing." dit-elle d'une voix monocorde, face aux interrogations de Luya. Il avait ses questions et elle avait les siennes, après tout, ils ne se connaissaient pas... Pas du tout. Ava se passa une main dans les cheveux, cherchant les bons mots, elle avait oublié tout son beau discours et tout ce qu'elle avait préparé. "I'm sorry I..." Elle aurait voulu tout recommencer, repartir à zéro, au lieu de quoi, la blonde tira une chaise, posant son sac sur la table et s'asseyant enfin. "I'm really going to sit down, I'm feeling a bit dizzy." Cela n'avait absolument rien à voir avec la grossesse non, si sa tête tournait à présent, c'était bien à cause de sa propre bêtise. Comment avait-elle pu faire tout ce chemin et croire qu'une quelconque magie se produirait une fois qu'elle et Luya serait dans la même pièce... Quelle idiote vraiment.  "I think it'll be best if I start from the start right?" Voilà, redresse toi Ava, tout ira mieux. Elle s'installa bien droite sur sa chaise, lissant les pans de sa robe. "I'm Ava. Ava Marie Sparks, I'm 28, I'm from Miami and... I think we might... share a father... or something like that." Elle avait dit ça avec le moins d'amertume possible dans sa voix et rien que de dire ça, elle avait l'impression qu'elle venait de s'ôter un poids de la poitrine."God I'm glad I'm sitting down." murmura t-elle alors, en poussant un soupir. "Do you have a glass of water or something like that? I could really use some right now... I..." Ava finit par se taire, pas besoin de lui annoncer tout de suite qu'elle était enceinte, non, chaque chose en son temps.

Luya n’avait pas osé bouger d’un centimètre. Il observait cette jeune femme... Non, elle n’était pas une inconnue, elle ne devait pas l’être puisqu’elle portait le même nom que lui. Une Sparks. Si seulement Adam était toujours là, s’il n’avait pas fait ses valises après avoir appris que Luya était en couple avec un homme, s’il n’avait pas décidé de déguerpir à la première occasion, alors le veilleur de nuit aurait simplement eu à monter les escaliers pour aller chercher du renfort. Peut-être qu’ainsi la situation aurait été plus facile à gérer, qu’il ne se retrouverait pas bêtement avec la porte du frigo grande ouverte, la poignée toujours coincée dans sa main, les yeux écarquillés et l’air complètement perdu. Pendant des années, Adam avait été présent pour lui porter secours lorsque Luya se retrouvait face à une personne qu’il ne connaissait pas ou qu’il répondait au téléphone sans être capable d’expliquer clairement où était partie Mrs Sparks et l’heure à laquelle elle reviendrait. Il n’était définitivement pas fait pour cela et il avait besoin qu’on l’assiste dans des tâches aussi simple que celles-ci. Mais il ne pouvait plus compter sur son grand frère à présent, il était bel et bien seul dans cette cuisine, face à Ava, Ava Sparks, celle qui venait de lui annoncer qu’il avait une soeur et qu’elle se tenait juste devant lui. Il ne pouvait plus rien faire, le moindre mouvement lui paraissant bien trop compliqué tandis qu’il observait la jeune femme en espérant qu’elle pourrait lui expliquer. Cela ne changerait rien de toute manière, il serait toujours incapable de se mouvoir tant la nouvelle était difficile à avaler.

L’espace d’un instant, il aurait voulu revenir en arrière et ne pas ouvrir cette porte. C’était cruel, sans doute oui, mais Luya se disait qu’il aurait pu faire semblant de ne pas être là, se camouflant sous ses draps comme il avait pris l’habitude de le faire, disparaissant totalement de la surface de la planète pour ne pas avoir à affronter la vérité et la recevoir en pleine face. Parce que si Ava se trouvait là aujourd’hui, et pas simplement dans sa cuisine, mais si elle existait tout bêtement et qu’elle pouvait respirer le même oxygène que lui, alors cela voulait bien dire que son père était sorti du droit chemin et qu’il avait...  Non ce n’était pas possible. Et pourtant... Sparks. Elle n’avait pas inventé tout cela pour tenter d’hériter de quelque chose, pas vrai ? Ce n’était pas impossible qu’elle ait pu faire des recherches sur Lincoln pour essayer de lui soutirer de l’argent en faisant croire qu’elle faisait partie de sa famille. Après tout, les histoires de fric étaient plutôt monnaie courante... C’était sans doute pour cela qu’elle avait sonné à la porte ; ce n’était pas pour autre chose, Luya ne voulait pas le croire. Il n’était tout simplement pas prêt. Savoir que son père ait pu avoir l’idée de tromper sa mère le rendait profondément triste et mine de rien, il en voulait à Ava. Il ne pouvait pas blâmer celui qui lui avait donné la vie, ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait se permettre. Mais elle pour l’instant n’était pas plus importante qu’une autre à ses yeux et au final, il la maudissait pour être venue ici et lui  avoir annoncé une telle nouvelle de cette manière.

Malgré tout Luya ne voulait pas être froid, il ne voulait pas la brusquer. Et puis il en était incapable. Pas parce que ce n’était pas dans ses cordes, bien au contraire ; Luya avait travaillé dur pour se donner de faux airs hautains et dédaigneux pendant près de trois ans,  alors il pouvait très bien se servir de ce masque pour tenter de se barricader derrière et ainsi se protéger de tout ceci. Non, il ne pouvait pas faire cela pour la simple et bonne raison qu’il était encore en état de choc et que ses cordes vocales ne voulaient plus lui répondre. Plus les secondes s’écoulaient et plus Luya réalisait ce qui était en train de se produire. Il la regardait sans faire le moindre mouvement, l’air frais du frigo le faisant frissonner, seule preuve que son corps était encore capable de réagir - car on aurait pu sérieusement commencer à en douter. Elle releva la tête mais Luya n’était toujours pas présent. Il était loin, oh bien trop loin pour vraiment être capable de se souvenir de cet instant d’ici les prochaines heures, ou même les minutes qui allaient suivre. Il n’était tellement pas attentif qu’il n’avait pas entendu les premières phrases d’Ava et ne réagit seulement que lorsque cette dernière s’assit sur une des chaises qui se trouvaient non loin de là. Persuadé que quelque chose n’allait pas, Luya ferma enfin la porte du frigo pour se rapprocher de la jeune femme pour s’assurer que tout allait bien. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle venait de lui dire mais si jamais elle avait tenté de lui faire remarquer qu’elle ne se sentait pas bien, Luya se serait retrouvé bien embêté s’il n’avait pas réagit immédiatement. D’ailleurs, il s’étonnait lui-même d’être encore capable de marcher dans la direction de la blonde, l’urgence de la situation lui redonnant suffisamment de confiance en lui pour qu’il n’ait pas peur de tomber en faisant ces quelques pas. Luya hocha simplement la tête alors qu’elle reprenait, annonçant qu’elle allait lui conter son récit depuis le début. C’était sans doute ce qu’il y avait de mieux à faire et Luya ne la quittait plus des yeux, buvant ses paroles à présent. Debout devant elle, il acquiesçait sans réfléchir et sans même s’en rendre compte à chaque mot qu’elle prononçait. 28 ans. Un an d’écart avec Adam, son aîné. Détail sur lequel Luya ne manqua pas de s’attarder assez longuement, hochant machinalement la tête par la suite sans réaliser qu’il n’écoutait plus à nouveau. Si elle était plus jeune que son grand frère alors cela voulait forcément dire que ses parents étaient déjà mariés au moment des faits et que Lincoln n’avait pas tardé à trouver une autre femme et... Luya secoua la tête de gauche à droite, reculant dans le fond de la pièce comme si le simple fait de s’éloigner d’Ava allait l’aider à la croire ou à accepter toute cette histoire. Non, son père n’aurait pas pu faire ça. Lui qui passait déjà trop peu de temps avec sa famille n’avait certainement pas besoin d’en fonder une seconde. Adam lui avait déjà dit pourtant, il avait mis Luya en garde pendant des années : « Tu crois vraiment qu’il part seulement pour les affaires ? Franchement, Luya réfléchis. C’est un mec, comme toi et moi. Et perso je finirais par craquer aussi si je passais les trois quarts de mon temps loin de ma femme. » Et l’aîné des Sparks haussait généralement les épaules avant de disparaitre dans sa chambre, laissant Luya seul dans le couloir, persuadé que c’était un mensonge et que son père était quelqu’un de bon qui ne voudrait jamais faire de mal à sa femme ou à ses fils.

Share a father. Comment pouvaient-ils partager un père exactement ? Ce n’était pas quelque chose qu’on pouvait tout simplement emprunter de temps à autre puis rendre comme si tout était normal. Luya remuait toujours la tête, le dos maintenant plaqué contre le mur de la cuisine. He’s not your father, he’s mine, he’s my father, I’m not sharing him with anyone. My father never would have done such a thing, he’s a good man and he cares about us even though he’s not always around. You’re lying, you are such a liar. Luya ne voulait rien entendre de plus et il fut presque ravi de constater qu’elle avait besoin d’un verre d’eau pour se précipiter vers un placard et lui servir ce qu’elle avait demandé. Il posa le récipient devant elle avant de se reculer à nouveau, comme s’il ne pouvait même pas se tenir trop près d’elle sans faillir. Il retourna dans le coin de la cuisine, l’observant du coin de l’oeil, se disant l’espace d’une seconde qu’elle n’avait sans doute aucune raison valable de mentir et de vouloir détruire une famille, sa famille. Les Sparks étaient déjà brisés depuis longtemps, ils n’avaient pas besoin qu’on vienne les achever avec une nouvelle pareille. Où était Adam exactement ? Il aurait pu venir l’aider à cet instant, tandis que ses jambes ne supportaient plus son poids et qu’il se laissait doucement glisser contre le mur, pour se retrouver assis par terre, les jambes repliées contre son torse et le regard perdu dans le vide. Adam please come back, I need you right now. I need you to come and pick me up, please, don’t leave me here alone. Adam serait venu et il aurait aidé son petit frère à se relever, comme il l’avait souvent fait dans la cour de récréation puis dans les couloirs du collège. « Come on Luya, it’s going to be alright, stand up now. » Mais Adam n’était plus là.

La seule famille qui lui restait était sa mère et... Ava.

Luya cacha ses mains tremblantes contre son ventre, n’osant plus regarder la jeune femme. « What’s your father’s name ? What does he look like ? What’s his favorite drink ? Do you have a picture ? Have you ever seen him or ?... » La respiration de Luya s’était soudainement accélérée. « I’m sorry I’m gonna need time I’m... Are you sure about this really ? I mean, maybe you were looking for another Sparks right ? There must be another Luya Sparks somewhere and maybe... Maybe I’m just the wrong one ? » Il mourrait d’envie de courir dans sa chambre et de ne plus bouger, de pleurer peut-être sans vraiment être capable d’expliquer pourquoi. Il voulait appeler Scott et partir d’ici, qu’il l’emmène chez lui et qu’il passe la soirée dans ses bras sans avoir à dire quoi que ce soit, simplement rester immobile. Il leva les yeux au ciel, essayant vainement de contrôler chacune de ses inspirations qui étaient de plus en plus désespérées avec l’envie de se mettre à genoux et de tendre les bras vers le plafond pour prier afin que tout ceci ne soit pas vrai. Luya finit par se dissimuler dans ses mains, espérant obtenir des réponses à toutes ses questions, totalement désemparé, convaincu que le ciel lui en voulait...

Une étrangère. Voilà tout ce qu'Ava était dans cette cuisine. Rien de plus qu'une étrangère et oh diable tous les verres d'eau du monde, rien ne pouvait effacer cette vérité. Cette vérité-là qui lui brûlait la gorge et l'empêchait de respirer correctement. Pourtant, la jeune femme s'accrocha à ce verre d'eau comme si toute sa vie en dépendait, comme si lui seul pouvait la sauver de... De tout ça, de sa propre vive, de sa propre existence, de l'air apeuré sur le visage de Luya. Jamais elle n'avait pensé qu'il pourrait réagir de la sorte, mais quoi de plus normal... Elle n'était qu'une étrangère, une inconnue, elle ne savait même pas quand avait été acheté la chaise sur laquelle elle était assise, elle ignorait si Luya avait fait ses premiers pas dans cette cuisine ou dans une autre pièce de la maison. Elle ne savait rien des souvenirs qui avaient été créés dans cette famille, ni même les moments heureux que Luya avait pu vivre. Ava ne voyait rien de tout ceci, non, elle avait été complètement égoïste dans le fond, si elle avait acheté son billet d'avion c'était bien pour elle et pour personne d'autre. Elle cherchait des réponses pour terminer ce puzzle qui constituait sa vie, elle avait besoin de savoir pourquoi quelque part... Pourquoi mettre une femme enceinte si c'était pour la laisser livrée à elle-même, seule, avec sa petite fille dans les bras et ses rêves brisés. Ava n'était peut être pas naïve mais elle savait bien que sa mère l'avait été, elle avait espéré que Lincoln finisse par faire demi-tour et pose un genou à terre pour la demander en mariage et faire d'elle une femme honorable. Oui, sa très chère mère se livrait souvent à des confessions après un ou deux verres de tequila, et Ava était toujours assez bête pour s'occuper d'elle et pour l'écouter en hochant la tête. Yes, mother, of course you're right. Un discours pré-mâché qu'elle connaissait par coeur, trop souvent répété, trop souvent dit alors qu'elle s'évertuait à tenter de relever sa mère qui s'était endormie dans la cuisine, pour la faire regagner son lit. Sa mère se savait jolie, elle savait bien que c'était sa seule qualité, une qualité dont Ava avait hérité visiblement vu qu'elle possédait les mêmes mèches blondes que sa mère. Mais c'était tout ce que la petite Ava avait de sa mère, son maintient et sa grâce naturelle, ses yeux, son nez, tout ça venait de papa. Papa qui aurait dû épouser maman, cependant, les maîtresses restaient bien souvent des maîtresses et elles étaient dans l'ombre.

Ava avait réussi là où sa mère avait échoué en quelque sorte, elle l'avait ce fameux nom de famille, oui, elle était une Sparks. Peut être que c'était pour cette raison que sa mère refusait de l'appeler par son nom complet, peut être était-ce pour cela qu'elle la méprisait... Depuis le temps, Ava hochait tout simplement la tête et elle s'était faite une raison, ne cherchant même plus à comprendre pourquoi, c'était une de ses choses qu'elle ne pouvait pas contrôler. Ce nom de famille était vide de tout sens, vide de toute signification et elle ne savait même pas qui elle était dans le fond. Et comment avancer sans savoir d'où on venait? On avançait mal tout simplement, on ne marchait pas droit. Oui, Ava était persuadée que c'était la cause principale de tous ses problèmes, c'était pour cela que quelque chose clochait chez elle. Elle n'espérait pas qu'on la répare, non, la blonde était réaliste, mais elle voulait du changement. À bientôt 30 ans, elle avait besoin de se dire qu'elle quitterait ce monde en étant en paix avec cette partie d'elle-même, avec son passé. Et non, elle ne faisait même pas cela pour l'enfant qui grandissait dans son ventre qui n'était pas le sien, jamais le sien, mais juste pour elle. Aussi, elle était vraiment attristée de voir Luya ainsi, si loin d'elle, elle ne dit rien pour le moment, attendant que le jeune homme reprenne la parole, elle se tint bien droite sur sa chaise, une expression vide sur le visage, le fixant toujours de ses yeux si similaire au sien. Elle aurait voulu trouver les bons mots, ou même se rapprocher et le serrer dans ses bras, mais faire quelque chose... N'importe quoi. Une étreinte prématurée aurait très certainement tout gâché, voilà ce qu'elle se disait, c'était tellement plus facile de rester sur cette chaise pas vrai. Elle termina donc son verre d'eau en silence, et à la dernière gorgée, Luya semblait avoir retrouvé sa voix. Ava ne fut guère surprise par ses propos, c'était un des scénarios qu'elle avait considéré. Il pouvait la prendre pour une usurpatrice, quelqu'un qui venait déranger sa petite vie tranquille. Car après tout, n'était-ce pas ce qu'elle était en train de faire?

Notre père Luya, pas ton père, non, tout ce qu'on t'a dit avant était un mensonge, tu croyais qu'il était parfait, est-ce que c'est ton héro? On t'a menti Luya, c'est juste un type qui vient faire des enfants à une pauvre femme qui rêve de devenir actrice, qui lui fait un beau sourire en lui assurant que tout va bien et qui finit par partir une fois sa signature sur l'acte de naissance. Est-ce que tu voulais devenir comme lui en grandissant? Toi aussi tu vas distribuer des billets verts en guise d'amour et réussir à contenter les gens en étant absent? Ce n'est pas un tour de magie très compliqué à réussir, mais je te préviens, tu risques d'engendrer des monstres, des aberrations de la nature qui sont complètement incapables d'aimer et qui vont donner vie à encore plus d'aberrations...

Ava prit une profonde inspiration, arrangeant ses cheveux sur ses épaules, plus dans un geste nerveux qu'autre chose. Non, elle n'était pas venue ici pour accuser son père biologique, elle était là pour Luya, elle était là pour être une grande soeur exemplaire. Enfin... si ce dernier voulait bien d'elle. "I know this is a lot..." commença tout doucement Ava, ne désirant pas brusquer le jeune homme davantage. Quel âge avait-il? Elle n'en savait rien. Cela l'irritait profondément et elle se sentait affreusement en colère contre elle-même. Un coup de fil aurait été largement suffisant comme première rencontre, même elle voyait cela à présent. Mais elle était là, et Ava pouvait être bornée quand elle le voulait, elle prenait souvent la fuite, hors de question devant Luya, il allait devoir la mettre à la porte avant qu'elle ne bouge de sa chaise. "And I'm so sorry, I really am... But I.. " Ava fit une seconde pause, elle sentait son rythme cardiaque s'accélérer et ce n'était pas bon, ni pour elle, ni pour le bébé. Elle se força à respirer lentement et repris plus calmement. "I understand your doubts, and I don't mean to steal anything from you. I don't have a lot of pictures ... Just two actually. Here they are." Les mains d'Ava étaient sur son sac à la recherche de ses souvenirs. Deux photographies, voilà tout ce qu'elle avait pour se rappeler de Lincoln. Sur la première, Ava ne devait pas avoir plus d'un an, elle était assise sur les genoux de son père et les deux souriaient. La jeune femme n'avait absolument aucun souvenir de cette journée mais cette petite fille avait l'air heureuse. Sur le deuxième cliché, c'était encore elle et son père, mais à la plage cette fois-ci, ce dernier tenant la main à la petite fille qu'elle était, surement âgée de trois ou quatre ans, la guidant dans le sable. Les plages n'étaient pas rares en Floride mais Ava ne se rappelait pas de ce jour. Elle posa les photos à plat sur la table et les poussa en direction de Luya, voilà, à part ça et son nom de famille, elle n'avait rien d'autre. "Just come look at them please... I just want five minutes to talk with you and then I'll be out of your life if that's what you want..."

Luya relève-toi. Luya n’oublie pas que quoi qu’il arrive, tu dois toujours te relever.

La tête blottie dans ses mains, Luya ne pensait plus. Ou peut-être qu’il s’efforçait simplement de croire que son esprit était vide. Il fallait qu’il cesse de songer à tout ceci, qu’il s’échappe, qu’il s’enfuie, qu’il prenne ses jambes à son cou. Qu’il prenne la main d’Ava au passage et qu’ils disparaissent sans doute ensemble, qu’ils apprennent à se connaître loin du reste du monde, à l’abris des autres qui ne cessaient de les décevoir chaque jour un peu plus, qui leur rappelaient inlassablement que le ciel décidait parfois de ne pas être clément. Luya aurait voulu pleurer mais à quoi bon ? Pourquoi ? À cause de qui ? De son père ? Non, il ne lui en voulait même pas. Il ne parvenait pas à le détester pour toute cette histoire, pour ses mensonges, ses absences, ses répliques cinglantes et ses regards froids. Il restait son père, celui qui l’avait vu naître, celui qui l’avait pris contre lui et qui avait posé un baiser sur son front des milliers de fois avant d’aller le border dans son lit d’enfant. Il lui devait tout, depuis le sang qui coulait dans ses veines, jusqu’à sa chair en passant par ses yeux clairs. Mais Luya était épuisé, fatigué d’avoir à constater une fois de plus que son père était… Humain. Aussi humain et imparfait que le reste des hommes qui polluaient cette fichue planète. Ce n’était pas un héro, ce n’était pas un dieu, ce n’était rien de plus qu’une vulgaire fourmi parmi sept autres milliards. Et c’était sans doute cela qui chagrinait tellement le pauvre Luya. Il lui portait encore tellement d’amour que ce genre de nouvelles le détruisaient.

Quand on souffre de trop aimer, alors à quoi bon, vraiment ? Il avait pourtant chercher à se protéger de tout ceci, érigeant d’immenses barrières autour de lui pour ne laisser entrer personne, pour ne jamais être honnête, un peu à la manière d’Adam, se donnant des airs de durs à cuir. Mais il n’y était pas parvenu, évidemment, puisqu’au moindre coup de vent, Luya s’écrasait sur le sol comme un véritable château de cartes, les fortifications de papier postées tout autour de son royaume se froissant au passage avant de l’entraîner dans leur chute. Malgré tout, il fallait se relever. « Just come look at them please... I just want five minutes to talk with you and then I'll be out of your life if that's what you want… » Le visage toujours blotti dans ses mains, Luya n’était pas certain de vouloir s’extraire de cette prison dans laquelle il s’était lui-même enfermé. Fallait-il vraiment qu’il se lève pour constater avec stupeur que Lincoln Sparks se trouvait sur ces clichés ? Ou devait-il plutôt patienter, prétexter quelque chose, la moindre excuse pour ne pas avoir à le faire et rester dans l’ignorance ? Ce serait sans doute plus simple ainsi, pas vrai ? Il pourrait plus facilement faire croire que sa vie était tout à fait normale et qu’il n’avait pas de soeur, qu’il n’en avait jamais eu, et qu’elle n’avait pas débarqué de nulle part pour venir frapper à sa porte, ou plutôt leur porte, celle de la famille Sparks, de sa seule et véritable famille.

Luya, tu te trompes complètement. Relève-toi maintenant.

Il finit par se convaincre de se remettre à bouger, respirant un grand coup avant de ressurgir, tournant la tête vers Ava qu’il observa silencieusement pendant une longue minute. Il n’avait pas encore osé croiser son regard, ou en tout cas pas à ce point, pas en ayant l’impression de se perdre dans ce bleu qui semblait refléter le sien avec tellement de perfection qu’il s’y serait perdu pendant des heures durant… Il ne disait rien puisqu’il n’avait plus les mots de toute façon, il se contentait de la contempler en se demandant déjà ce que leur vie aurait pu être s’ils avaient su avant, si Luya avait pu être au courant d’une autre façon. Est-ce qu’il l’aurait cherchée s’il avait été à sa place ? Est-ce qu’il aurait fait autant de chemin pour la retrouver et lui dire qu’il n’était rien, qu’il n’était pas grand chose, pas même exceptionnel ou intéressant, mais qu’au moins il était son petit frère ? Luya ne pouvait pas savoir et il n’y pouvait rien. Le ciel en avait véritablement décidé ainsi et il ne pouvait malheureusement pas lutter contre la volonté divine. Mais justement, si ç’avait été lui à sa place, peut-être qu’il aurait su l’aimer avant même de pouvoir lui parler ? Il soupira avant de se relever avec toute la peine du monde, comme si son coeur trop lourd l’attirait encore et toujours vers le sol dur et froid de cette cuisine. Il se déplaçait lentement, ses yeux rivés vers les deux photos qu’Ava venait de faire glisser dans sa direction pour qu’il puisse constater par lui-même, qu’il puisse vérifier.

Il prit le temps de détailler chaque photo, les regardant l’une après l’autre à tour de rôle comme s’il cherchait à faire en sorte que ces images persistent sur sa rétine jusqu’à la fin de ses jours. C’était donc vrai, ce n’était pas un mensonge ni une histoire inventée de toute pièce, encore moins un rêve ou un véritable cauchemar. Tout ceci n’était que la triste et la plus cruelle de toutes les vérités qui puissent exister. Son père avait été capable de cela, il avait commis un pêcher, pêcher dont le fruit était maintenant sur la chaise qui se trouvait juste en face de lui. Et pourtant, ce n’était pas elle l’erreur, mais bien l’arbre dont elle était tombée… Elle n’y était pour rien, elle non plus n’avait pas eu le choix, et sans doute que si elle avait pu, elle aurait fait en sorte de n’avoir jamais de Luya dans sa vie. Ils étaient semblables au fond, ils se ressemblaient déjà trop… « So this is true then… You really are my sister… », dit-il simplement tandis que son regard ne se détachait toujours pas des deux photos qu’il tenait dans ses mains. Il tentait vainement de se dire que son père n’avait pas l’air heureux sur ces photos-là, mais au fond, à quoi bon essayer de se le garder pour lui maintenant ? Il n’avait jamais été complètement son père ni totalement celui des autres ; parce qu’Ava n’était peut-être pas la seule au fond, qui pouvait vraiment le dire maintenant ? Non, Lincoln affichait ce même air hypocrite et détestable que sur les photos de l’enfance de Luya, ce petit sourire en coin qui voulait tout dire et rien dire en même temps, avec ce regard aussi charmeur qu’agaçant. C’était bien lui, il n’y avait aucun doute. « You liar… » Luya ne s’était pas entendu, il n’avait même pas prêté attention à ses lèvres qui s’étaient mises à bouger toutes seules alors qu’il murmurait ces simples mots à son géniteur, paternel immobile et immortalisé sur les feuilles de papiers glacés qui ne pouvait même pas l’entendre. Mais le regard de Luya n’était toujours pas dur, il était brillant, et indulgent. Si Lincoln avait été présent face à eux, sans doute Luya n’aurait pas réussi à lui faire part de sa déception, et après quelques belles paroles, il aurait oublié et il aurait passé la soirée à jouer aux cartes avec son père, aussi admiratif et captivé que d’ordinaire.

À cet instant Luya voulait prendre Ava par la main et l’emmener avec elle dans sa chambre pour lui montrer où il avait grandit, loin d’elle, loin de ses yeux et de sa jolie chevelure blonde. Ils avaient perdu tellement d’année à cause de Lincoln, par sa faute, parce qu’il avait été assez stupide pour concevoir Ava avec une autre que sa mère alors qu’ils auraient pu faire tant de choses ensemble. Luya aurait passé des heures à la coiffer, c’était certain, la trouvant tellement belle qu’il aurait même tenté de lui piquer ses manières et se mettre à parler comme elle, juste parce qu’il l’admirait trop, parce qu’il voulait lui ressembler et qu’on sache d’emblée qu’ils étaient frère et soeur. Il aurait pleuré sur son épaule, dormit sur ses genoux, rit aux éclats juste avec un regard. Ils auraient pu avoir tout ça, et Luya le sentait bien en la voyant assise face à lui, dans cette cuisine qui n’était plus vraiment la sienne au fond. Mais ce n’était pas aussi simple, pas aussi évident. Ils n’avaient rien vécu de tout cela, ils étaient deux étrangers, maladroits et incapables. « Do you need somewhere to stay for a while ? Or maybe this is too soon… Or maybe you don’t want to stay here. I have a… a… Friend. I could ask him if you could stay at his place if you’d rather not stay here. I’m at his place most of the time too so...  » Luya, sometimes you forget you’re not good at chatting with people, and that’s why you usually keep quiet.

Il tenait toujours les clichés dans sa main mais il essayait maintenant de sourire, comme pour la rassurer. Pour souhaiter la bienvenue à sa soeur. Enfin.

Qui était Luya dans le fond? Elle ne le connaissait pas vraiment, pas plus qu’il ne la connaissait elle et pourtant, derrière ce prénom, face à ce visage et à cet homme, Ava avait envie de sourire, elle avait envie d’être parfaite. Parfaite face à lui et face à tout ce qu’il représentait et tout ce qu’il était déjà. Son frère, son petit frère. Ava n’avait jamais véritablement rien eu à elle et même si elle savait que c’était complètement stupide, et qu’elle ne pouvait pas vraiment posséder Luya, mais tant pis, elle pouvait nouer ses bras autour du cou de ce frère là et le tenir contre elle pendant l’hiver. Et alors peut être qu’elle n’aurait plus froid, peut être qu’elle ne sonnerait plus aussi creux, peut être qu’elle arriverait à sourire pour de vrai, peut être qu’elle serait heureuse. C’était beaucoup pour une seule personne, oh si seulement Luya savait, peut être qu’il aurait déjà pris la fuite. Qu’il l’aurait tout simplement traitée de tous les noms et qu’il aurait fait demi tour, peut être qu’il lui aurait saisi le bras et qu’il l’aurait entraînée vers la sortie. Qu’il lui aurait jeté ses photos à la figure, en la traitant de menteuse. Sale petite menteuse qui essayait d’entrer dans la vie des gens et d’être heureuse. Une égoïste, oui, il aurait pu la traiter de tous ces noms là et Ava se serait laissée faire et elle n’aurait pas bronché, elle n’aurait rien dit car en quelques secondes, il l’aurait déjà cernée et vu sa véritable nature. Elle était brisée et elle espérait que quoi… Que l’amour de Luya serait suffisant pour la réparer toute entière? Qu’il connaissait une quelconque formule magique pour  la remettre sur ses deux pieds et lui apprendre comment marcher normalement. Elle avait peur, elle était effrayée tout simplement, elle avait déjà peur de le décevoir et peur d’être abandonnée.

Ava attendait donc, le souffle coupé, qu’il se rapproche et qu’il regarde les deux images, ces deux simples clichés qui prouvait que oui, elle était bien réelle et qu’elle n’allait pas s’envoler. Son lien avec Luya était là, sur ces deux images, ces deux maigres images, elle n’avait aucun souvenir de ces deux moments de sa vie et une version plus jeune d’elle même aurait voulu brûler les clichés. C’était sa mère qui les lui avait donné, après avoir fait disparaître une bouteille de vodka à une vitesse hallucinante, Ava se rappelait encore la soirée, de triste mémoire. Elle se rappelait de l’odeur de l’alcool dans la pièce, de la main de sa mère dans ses mèches blondes et de la détresse sur son visage tandis qu’elle lui avait balancé les photos, les extirpant d’un vieil album de famille qui était caché sous son lit, une chose interdite qu’Ava n’aurait jamais dû regarder. Why mother, why? Why hide the truth? Why hide the pain? Why? Because you’re supposed to love your children? Protect them no matter what? You didn’t do that before? So why now? Mais Ava n’avait rien dit, elle n’avait jamais rien dit, elle s’était contentée de collecter les morceaux de son existence et de partir se terrer dans sa chambre. Elle avait alors saisi son briquet et elle s’était dit que peut être, elle pouvait mettre une fin à cette mascarade et se laisser sombrer et se laisser couler. Non, elle avait tenu bon, elle avait continué, pourquoi? Pourquoi continuer? Elle n’avait pas de réponse à cette question, elle ne savait pas mais elle fut plus que soulagée lorsque Luya se rapprocha. Sa phrase enleva un poids sur la poitrine d’Ava qui fut en mesure de respirer correctement, oui, elle était sa soeur, sa demi-soeur pour être plus précis, mais au diable ce genre de détails. Ava conserva le silence, attendant la prochaine réaction de Luya, et l’insulte, presque murmurée, était sans doute réservé à leur géniteur. Luya avait raison dans le fond. Il était un menteur et c’était eux désormais qui en payaient les conséquences, eux qui ne s’étaient pas vu pendant tant d’années.

Ils avaient tellement de moment à rattraper, tellement de souvenirs à construire, tellement de barrière à franchir. Si Ava tendait les bras, est-ce que Luya allait venir s’y loger? Et si elle tombait, viendrait-il la rattraper? Oh elle ne connaissait pas encore la réponse à toutes ces questions, elle venait juste de le rencontrer. Elle ne put s’empêcher de rougir alors que déjà, il jouait les frères protecteurs, elle aurait dû venir ici plus tôt, oui, en sortant de l’aéroport, avec sa valise dans les mains. « I… » C’était beaucoup d’un coup, même pour elle, Ava prit une profonde inspiration et se redressa. Elle se rapprocha de son frère tout doucement, et elle attrapa les mains de Luya, si étrangères, si petites contre les siennes. Ava observa pendant un moment leur doigt enlacés avant de redresser le regard, fixant Luya.  « Don’t worry about me, I’ve got everything I need a place to stay and everything, I’m staying with some friends of mine. A couple, they … they let me stay in their free room because… Well I might as well say it, I’m pregnant. »

Elle n’avait pas prévu de lui annoncer comme ça, pas aujourd’hui mais tant pis, il n’y aurait jamais de bon moment pas vrai?  « Three months pregnant to be exact. » murmura ensuite Ava. Elle se garda bien de lui dire toute la vérité, que ce n’était pas vraiment son bébé dans le fond, qu’elle vivait chez les futures pères de l’enfant. Une seule chose à la fois, il ne l’avait pas encore mise à la porte, c’était déjà ça.  « But that’s not what’s important right now. I mean Luya… » Ava prit une autre inspiration, lâchant les mains de son frère, ayant besoin de se redresser et de lisser les pans de sa robe pour prononcer les prochains mots.« Are you okay with this? With me being here? I mean, I know this is going to take a long time but… I want to be a part of your life, okay? » Elle ne voulait plus partir, elle ne voulait plus fuir, elle voulait accoucher et ensuite arrêter de courir, construire une vie, être heureuse, tout simplement. Ce genre de choses pouvaient également lui arriver, oui, le bonheur tout simplement pouvait aussi arriver à un Sparks. « Like a real sister… » conclut-elle, pas certaine de saisir tous le sens de ce mot à présent.

Les yeux de Luya ne quittaient plus ceux d’Ava tandis qu’elle venait tout juste de se lever pour mettre ses mains dans les siennes. À ce stade de la conversation, il était hypnotisé par sa soeur, un peu comme s’il se trouvait devant la huitième merveille du monde et qu’il réalisait soudainement à quel point elle était jolie et… Ce simple contact le rassura et le conforta dans l’idée qu’ils pourraient s’entendre. Après tout, si leurs doigts pouvaient s’entremêler aussi facilement et si leurs mains se complétaient de la plue belle des façons, alors ils n’avaient pas de soucis à se faire, pas vrai ? Ils pouvaient compter l’un sur l’autre et apprendre à se connaitre, faire un bout de chemin ensemble et rattraper toutes les années qu’ils avaient passé loin l’un de l’autre. Mais pour combien de temps seulement ? Combien de grains de sable allaient s’écouler doucement avant qu’elle ne le fuit, avant qu’elle ne se rende compte ? Pour l’instant, elle ne voyait pas, elle ne pouvait pas voir, trop obnubilée par le bleu des yeux de Luya, le même bleu que ceux de son père, de leur père, celui qu’ils avaient en commun mais qu’ils n’avaient pourtant pas partagé, pas dans les règles de l’art, pas comme il l’aurait fallu. Elle était aveuglée simplement par ce qu’elle pourrait découvrir là, dans cette étendue d’eau fraîche, peut-être même glaciale, la même froideur que celle de sa mère à lui. Qu’adviendrait-il de leur sort quand Ava se rendrait compte après tant d’instants passés à ses côtés pour compenser ceux qui n’avaient jamais existé, que Luya était la cause de tout ceci ? Sa mère avait eut toute la peine du monde à retomber enceinte une deuxième fois, mais elle avait tellement voulu cet enfant qu’elle avait passé des mois entiers à prier, à ne faire plus que cela, oubliant de s’alimenter ou même de vivre, simplement pour se consacrer à son fils, celui qu’elle désirait depuis qu’Adam avait quitter son ventre. Qu’il vienne remplacer le vide, ce petit être, qu’il la réchauffe quand il faisait trop froid, qu’il comble l’absence interminable et qu’il pousse de hauts cris pour se faire entendre afin d’anéantir le silence. Cette maison était trop vide pour elle, cette demeure ne ressemblait pas à un foyer. Et son ventre qui sonnait creux perdait tout son sens si elle ne pouvait pas sentir la vie grouiller en elle une dernière fois. Mais Lincoln ne voulait pas non, il avait refusé. Il lui avait tenu tête pendant tout ce temps, soutenant que c’était inutile, qu’Adam était largement suffisant. Si Ilene avait su, si quelqu’un lui avait dit à l’époque qu’il y avait aussi Ava et qu’il y en avait peut-être d’autres, elle aurait sans doute compris ; mais cela ne l’aurait pas empêchée de supplier encore, de tendre son coeur meurtris vers Lincoln pour lui demander d’honorer son corps une dernière fois.

Naturellement, il avait fini par céder. Et Luya était arrivé, le portrait de son père mais… Le même désespoir que celui de sa mère, cette lueur pâle et fiévreuse qui animait son regard, cette étincelle que Lincoln ne pouvait plus supporter. Alors il avait fait ses valises et ne revenait que rarement. Puis plus tard, Adam en avait fait de même. Luya regardait donc ses mains et celles de sa soeur, leurs doigts se mêlant silencieusement ensemble, et si ils étaient joints correctement, alors peut-être que Luya pourrait fermer les yeux un instant pour prier. Juste une fraction de seconde pour mettre les cieux de leur côté et faire en sorte qu’ils ne se lâchent jamais. Parce qu’elle allait finir par l’apprendre un jour, quelqu’un allait lui dire qu’il était celui qui avait poussé Lincoln dehors. À force de lui courir après, de remuer ciel et terre pour que son père daigne au moins poser les yeux sur lui et le considère comme son véritable fils, Luya n’avait rien engendré d’autre que la fuite de son géniteur. Il avait dégouté Adam également, qui s’était empressé de disparaitre quand il avait appris pour sa relation avec Scott… Le jeune homme aurait voulu parler mais il ne fut pas assez rapide. Pourtant il fallait qu’elle sache, qu’elle apprenne la vérité…

You know, when they say that people always leave... It’s true Ava. You and I, we’re never gonna get the happy ending we’re hoping for because guess what, at some point, you’ll leave. You’ll find out and you’ll understand everything. That I'm not even worth it. At all. So maybe we should spare us the pain and leave it at that. You'll get it someday, you'll see that it is me. I’m the reason why people always leave.

Il était prêt à lui dire d’abandonner, courbant l’échine lentement, le regard dans le vague. Luya ne s’attendait pas à ce qu’elle ouvre la bouche pour lui faire part de ce genre de nouvelle. Elle était enceinte. Enceinte. Il releva brusquement la tête vers elle, son regard s’illuminant comme par enchantement, avant de se poser sur son ventre pour tenter de voir la petite bosse caractéristique et… Ce qu’il ressentit à cet instant ne pouvait être décrit simplement avec des mots mais c’était comme un feu qui venait de se répandre le plus rapidement du monde au travers de tout son corps avant de venir s’éteindre sur ses joues. Il n’osait plus parler, il n’osait plus bouger, convaincu que si tout son être reprenait subitement du service, il allait se mettre à trembler et il aurait besoin de s’asseoir à son tour. Luya avait toute la peine du monde à se concentrer sur ce qu’elle disait ensuite, mais secouant légèrement la tête, il parvint néanmoins à capter les derniers mots qu’elle prononçait. Le jeune homme était tellement euphorique à l’idée de se dire qu’ils n’étaient pas seulement deux dans cette pièce mais bien trois (ou peut-être deux et demi, peu importait au fond), qu’il en oublia instantanément toutes ses craintes et toutes ses réticences, et hochant vigoureusement la tête, il n’hésita pas un seul instant avant de répondre. « Yes, I’m okay with all this. I’m okay with everything. I’d love for you to be a part of my life… » S’il en avait eu le courage, il aurait ajouté qu’il ne pouvait déjà plus se passer d’elle, surtout pas après la perte de son frère aîné. Il avait besoin d’un guide, d’une personne qui voudrait bien le prendre par la main, qui pourrait venir le récupérer quand il se retrouverait encore noyé dans les eaux sombres de son âme et qu'il se retrouverait étendu sur la pelouse de la demeure familiale, les yeux rivés vers les étoiles.

Il regardait toujours le ventre de sa soeur, fronçant les sourcils, remontant ensuite vers ses yeux bleus. Those beautiful Sparks blue eyes. Maybe he’ll have the same, maybe this baby’s eyes will be the same color… Mais au fond le fallait-il vraiment ? Ce bleu là semblait être une malédiction... Qu'importe, sa soeur était enceinte et Luya voulait s’assurer d’avoir bien entendu, de ne pas avoir fait d’erreur et de comprendre avec précision ce dont elle venait de lui faire part. « So does this mean… Wait… » Il s’éclaircit doucement la gorge. « So first I get a sister… And now I’m also getting a… A nephew ? » Ou une nièce, ça n’avait pas d’importance, l’intérêt n’était pas là. Luya récupéra une de ses mains pour venir la poser sur sa bouche entrouverte que son sourire rayonnant était en train de déformer légèrement. Il avait envie de rire sans vraiment être capable d’expliquer pourquoi. Sans doute parce qu’il était heureux qu’elle soit porteuse d’une aussi bonne nouvelle, cela n’allait pas plus loin que cela. Mais il fallait que Luya calme ses ardeurs ou bien… Elle disparaitrait à son tour, pas vrai ?

Keep calm and quiet Luya, or else you’re gonna make her leave as well.

Il ne l’avait pas rejetée, il n’avait pas fuit. Enfin un homme différent de tous les autres, enfin un homme qu’elle pouvait aimer, aimer correctement sans le faire fuir et sans paraître pour celle qui en voulait trop. Mais en voulait-elle trop vraiment? Elle voulait juste être aimée, comme tout le monde, tout simplement, avoir des bras qui se refermaient sur sa maigre taille et quelqu’un d’assez gentil pour lui mentir et pour lui dire que tout allait bien, tout irait bien. Que les lendemains ne seraient plus aussi froids ou même solitaire et que oui, le soleil allait bien finir par se lever, oui, le printemps allait arriver, oui, les choses pouvaient être meilleures et elle n’était pas obligée d’avoir ce goût amer dans la bouche. Elle avait essayé, elle avait vraiment essayé, elle avait tenté d’être parfaite, digne d’être aimée et c’était bien pour cela qu’elle portait en elle cette petite vie, car cet enfant, bien qu’il ne serait jamais le sien, elle l’aimerait, elle l’aimerait toujours et le lien entre un enfant et sa mère, peu importe si légalement il n’était pas elle, dans son coeur, Ava savait. Elle avait beau prétendre être détachée de la situation, elle seule savait la vérité. Mais il y avait Luya à présent, Luya qui n’avait pas reculé et qui avait laissé sa soeur s’approcher de lui et le toucher. Juste leur doigt en contact mais pour Ava, cela était largement suffisant et elle n’aurait pas pu espérer plus de cette rencontre. Un sourire se dessina sur ses lèvres, léger, facile, de ceux qu’elle avait encore quand elle était plus jeune et qu’elle croyait encore que sa mère était une reine et elle une princesse et que bien évidemment, un terrible dragon empêchait papa de venir la voir. La réalité, les années et ses mèches blondes qui poussaient avaient effacé ses espoirs et ce genre de rêves et elle savait à présent la réalité, savait quel genre de dragon avait retenu papa, de quel genre de crimes il était capable, mais peut être, peut être qu’avec Luya elle pouvait retourner à cette époque, avec la main de son frère dans la sienne et lui trouver un autre rôle à jouer dans son histoire parfaite, lui trouver un costume, le faire sourire, prendre des photos pour créer de nouveau souvenir avec lui.

Mais le sourire d’Ava s’effaça bien vite, non, Luya non, pourquoi lui avait-elle lancé ce détail? Non, il n’y aurait pas de neveu, pas de petit Sparks, non, ne voyait-il pas qu’elle ne pouvait pas infliger ce sort-là à quelqu’un d’autre, ce sort de maudit, de… de Sparks. Elle offrait une chance à quelqu’un d’autre dans ce monde, il n’était pas complètement à elle alors il ne serait qu’à moitié condamné, de meilleurs parents et de l’amour pourrait peut être le sauver. « Luya don’t… It’s a little bit more complicated than that okay? » laissa échapper Ava. Un semblant d’explication, elle ne pouvait pas lui avouer la vérité, trop honteuse à présent. Il devait sans doute la voir déjà mariée ou en couple, avec quelqu’un dans sa vie et qui attendait avec impatience l’arrivée de ce bébé. Dans un sens, oui, ce bébé était bien attendu, mais certainement pas par une famille conventionnelle. Elle poussa un soupir, ses mains dérivant sur les épaules de son frère, presque pour le retenir. Le retenir d’être dégoûté par elle, pour qu’il n’ait pas envie de la fuir dès qu’il se rendrait compte de la triste vérité. La vérité c’était qu’elle n’était pas une mère mais juste une usurpatrice, elle savait qu’elle avait des défaut et au lieu de travailler dessus, elle en rajoutait, quelle genre de femme faisait cela? Ava poussa un autre soupir, se forçant à respirer lentement et à sourire. « But we’ll get to that eventually okay? »

Ils y arriveraient à la vérité, la vérité pour les deux d’entre eux, elle avait envie de demander à Luya si lui aussi il avait des secrets, mais le genre de secret qu’il ne pouvait pas confier à voix haute même pas à une personne qu’il connaissait depuis des années. Cela leur prendrait du temps pour défaire ce que les années passées l'un sans l'autre avaient fait mais Ava était plus que déterminée à gagner cette bataille et avoir une vraie famille. Elle se rapprocha de Luya, pressant son front contre ce dernier avant de déposer un baiser sur son front, là sur cette peau blanche qu'il partageait.  « Right now all I care about is you… »  Et pour la première fois depuis longtemps, elle était sincère, encore plus alors que ses bras entourèrent le jeune homme et qu’elle laissa sa tête reposer sur l’épaule de Luya. Elle avait parcouru des milliers de kilomètres et ce pendant des années pour trouver ce qui manquait, ce qui n’allait pas dans sa vie et si surtout elle pouvait se faire une place. Une place parmi les vivants, une place dans le jeu de la vie, tout le monde y arrivait alors pourquoi pas elle?

Et là, dans cette maison qu’elle ne connaissait pas encore et dans les bras de Luya, Ava se disait que oui, peut être, qu’elle avait trouvé sa place.

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