Lorsque Luya raccrocha, il réalisa qu’il lui restait peu de temps avant d’avoir à rejoindre Alessia devant l’hôtel où ils avaient réservé une chambre pour la nuit ; et s’il y avait bien une chose que le jeune homme ne pouvait pas supporter, c’était le fait d’être en retard. Il fallait donc qu’il se dépêche, préparant rapidement son sac pour la soirée qui l’attendait à l’autre bout de la ville. Il connaissait suffisamment Alessia pour savoir qu’elle aurait déjà tout prévu, il lui était donc assez difficile d’établir une quelconque liste des choses essentielles qu’il devait absolument prendre avec lui. Il hésita même à rappeler son amie pour qu’elle puisse lui épargner cette tâche compliquée... Il se décida finalement à fourrer des affaires de rechange dans son vieux sac de sport, sans oublier le chargeur de son téléphone, et les petites enceintes que son frère lui avait récemment prêté (parce qu’il y aurait forcément un moment dans la nuit où les deux compères auraient envie de se lâcher sur un bon morceau - et même si ça n’arrivait jamais, Luya se laissait le bénéfice du doute et préférait prévenir plutôt que guérir)... Il pris également de quoi faire sa toilette, histoire de ne pas faire subir sa tête de déterré à Alessia quand il se réveillerait avec la gueule de bois le lendemain matin. Luya se précipita alors dans l’escalier, dévalant les marches plus rapidement que l’éclair. En sortant, il prit tout de même le temps d’embrasser sa mère, lui promettant de passer une bonne soirée et de rester sage.

En chemin, Luya se demandait à quoi pourrait ressembler sa vie si Alessia n’était pas là. Elle était la première personne au courant de sa liaison avec Scott, et elle lui avait promis de servir de couverture auprès de sa famille jusqu’à ce qu’il soit prêt à révéler la vérité. Mais avant même que la jeune fille décide de se porter volontaire pour devenir l’alibi favoris de Luya, elle était bien plus que ça. C’était peut-être un peu excessif de dire qu’il y avait de grandes chances qu’ils aient été séparés à la naissance, mais Luya ne voyait pas comment on pouvait se rapprocher davantage de la réalité. Lui, qui n’avait jamais réussi à se confier à qui que ce soit, qui préférait vivre sa vie dans son coin sans qu’on se soucie de lui, avait trébuché sur le chemin d’Alessia, le forçant à revoir toutes ses priorités. Il avait mis un peu de temps avant de l’accepter réellement dans sa vie, mais depuis qu’elle était là, il avait la sensation qu’il ne pourrait jamais plus s’en défaire. Et malgré tout, il n’y avait jamais eu aucune ambiguïté entre les deux jeunes gens ; même lorsque Luya prétendait être hétéro. Pas un geste déplacé, pas une seule arrière pensée. C’était tout simplement parfait.

Puisque la ponctualité était sa règle d’or, le jeune homme arriva avec cinq bonnes minutes d’avance sur son amie. Il faisait les cent pas devant la porte de l’hôtel, ne tenant plus en place à l’idée de la retrouver et d’être obligé de devoir attendre pendant ce qui semblait être une éternité. Jetant régulièrement des regards assassins à son téléphone portable comme pour lui reprocher de ne pas faire en sorte que les secondes passent plus rapidement, il relevait parfois la tête pour essayer d’anticiper l’arrivée de son amie. Alessia finit par apparaître au coin de la rue et semblait chargée comme une mule. En la voyant, Luya fut apaisé et il oublia rapidement les quelques instants passés à tourner en rond - et le baiser qu’elle posa sur sa joue le fit fondre davantage.

« S'il te plait ne me crie pas dessus ! »

Luya sourit. Elle le connaissait déjà par coeur.

« De toute manière, je ne vois plus vraiment l’intérêt... À chaque fois que tu m’agaces, tu t'arranges toujours pour me faire fondre juste après... »

Ils avancèrent ensemble jusqu’à la réception, et sans même lui demander son avis, le jeune homme récupéra le sac de son amie pour épargner ses pauvres petits bras. Une fois les clés de leur chambre en leur possession, les deux complices se précipitèrent dans l'ascenseur, excités comme des puces à l’idée de pouvoir partager cette soirée et d’oublier le reste du monde. Ils avait tellement de choses à se raconter, tellement d’autres à oublier... Luya posa son sac dans un coin de la pièce, portant son attention sur ce qu’il y avait de plus important : les bouteilles. Une à une, il les posa sur le bureau qui se trouvait à proximité.

« Et ben on aura de quoi faire !... Tu es au courant qu’on est que deux, pas vrai ? Oh, et je ne vois même pas pourquoi tu as acheté des gobelets, je suis sûr que dans dix minutes tu te trimballeras avec la bouteille à la main. »

Luya sourit bêtement, se moquant d’elle gentiment. Il allait évoquer le dernier dîner qu’ils avaient passé ensemble avec le reste de la famille Sparks quand il se rendit compte qu’il manquait quelque chose. Tous les éléments étaient pourtant maintenant réunis pour que tout se passe pour le mieux... Un litre de rosé logé entre ses doigts, le jeune brun cherchait désespérément ce qui pourrait le sortir de sa misère. Il savait pourtant quoi faire du précieux liquide - il ne fallait pas oublier qu’il avait fait des études dans le domaine de l’hôtellerie, alors ce n’était pas l’ouverture d’une bouteille qui allait l’effrayer. Et pourtant...

« Euh... Juste une question, comme ça. Tu as prévu le tire-bouchon, rassure-moi ? »

Il espérait que son amie lui répondrait positivement, pas très emballé à l’idée de devoir ouvrir le récipient avec les dents ou quoi que ce soit d’autre.

« Parce que sinon, tu veux vraiment que je finisse par te crier dessus... »

Le lit double n’était définitivement pas un problème. Au contraire, Luya aurait trouvé cela particulièrement bizarre s’ils avaient été obligés de dormir dans deux lits séparés. Après tout, ils avaient toujours fonctionné de cette manière, et il était hors de question que les choses changent. Bien sûr qu’il se garderait bien de mentionner ce petit détail auprès de Scott lorsqu’il lui raconterait sa soirée... Non pas parce qu’il culpabiliserait de s’être endormi aux côtés d’Alessia, mais plutôt pour la simple et bonne raison qu’il ne voyait pas l’intérêt de parler de quelque chose qui n’avait pas vraiment d’importance. Luya refusait de blesser Scott en lui faisant part de cette information. Il avait essayé de se convaincre que ce n’était pas la marche à suivre, qu’il avait promis d’être honnête avec le beau blond quelle que soit les circonstances. Mais en l'occurrence, il s’agissait d’Alessia. Et c’était certainement la seule et unique personne avec qui il était certain de ne jamais déraper, même sous l’emprise de l’alcool. Le jeune homme aurait bien ajouté le reste de sa famille à cette courte liste d’individus auxquels il ne toucherait jamais, mais les circonstances de sa rencontre avec son propre cousin le fit rapidement changer d’avis...

Luya répondit à la grimace de Lessia par une moue dont lui seul avait le secret. Ils étaient là depuis deux minutes à peine, et il se sentait déjà tellement mieux. Adieu quotidien ennuyeux et autres préoccupations en tout genre. Ils avaient beau être coincés entre quatre murs qui ne leur appartenaient même pas, ils étaient enfin libres. Il n’y avait qu’un bon verre de rosé pour parfaire cette sensation de bonheur intense qui s’emparait subitement de Luya, et il fut ravi de saisir le tire-bouchon que son amie lui tendait. Il sourit en coin, un peu contrarié de ne pas avoir pu piéger la jeune femme : elle était décidément bien trop organisée pour lui. Et quelque part au fond de lui, il espérait n’avoir rien oublié de son côté parce qu’il savait pertinemment qu’elle se moquerait ouvertement de lui et de ses étourderies, avant de vanter les mérites de ses propres petites listes souvent très efficaces.

« Evidemment ! Et au nom des De Conti s'il te plait ! Ah si mon père savait. »

Luya déboucha la première bouteille, prenant son temps entre chaque geste pour qu’Alessia puisse assister à une véritable séance de professionnalisme - et parce que le jeune homme aimait montrer à quel point il était doué dans l’art de servir (et de finir) un bon cru. Il servit deux verres avant d’en tendre un à Alessia et de lever le sien vers le ciel.

« À nos pères, qui ne savent rien de nous. »

Il trinqua en prenant soin de plonger son regard dans celui de son amie. Il ne pu s’empêcher de sourire en imaginant la tête que pourrait faire son propre paternel s’il savait qu’il faisait croire au monde entier qu’il était en couple avec une femme, alors qu’il partageait le reste de son temps avec un homme (et tout ce que cela impliquait). En fait, il était plus qu’effrayé à l’idée que la vérité puisse éclater au grand jour, mais pour le moment, il ne s’en souciait pas. Il préférait agir de manière détachée, comme si cela ne l’affectait pas réellement. De toute manière, Alessia savait que c’était un sujet sensible. Mais ce soir il n’était pas question d’aborder les sujets douloureux. En tout cas pas immédiatement. Ou peut-être pas celui-là en priorité...

Le garçon ne se contenta pas de siroter sa boisson. Hors de question de perdre encore un peu plus de temps à être sobre. Il avait hâte de pouvoir dire des choses incohérentes et être surpris par les mots qui allaient sortir de sa propre bouche. Il voulait perdre le contrôle et se réjouir de tout et n’importe quoi. Oui, il voulait être gai, tout simplement. Il ne fit qu’une gorgée de son verre avant de s’en servir un autre dans la foulée. Après quoi, il se dirigea vers son sac pour sortir les enceintes de son frère et se mettre en quête d’une prise électrique. Et tandis qu’il essayait de mettre tout son matériel en place, il regarda la jeune femme, un faux air accusateur traversant son visage.

« Est-ce qu’on parle de tes dérapages devant ma mère et mon frère maintenant, ou est-ce que tu préfères attendre qu’on ait fini la bouteille ? »

Bien entendu, Luya ne lui en voulait pas vraiment. Au moment des faits, il l’avait fusillée du regard, complètement apeuré à l’idée que sa mère ou Adam puisse voir clair dans leur petit jeu. Mais au final, ça le faisait bien rire. Savoir qu’ils étaient capable de berner le monde entier ne faisait que rassurer le jeune homme quant à leur complicité évidente.