Between The Bars
Luya S. Sparks / Amber V. Grazia

« Je te laisse frangin... Et je t’en supplie, pour une fois, essaie de t’amuser un peu ! »

Luya ne pris même pas la peine de regarder son frère aîné ; il savait pertinemment que celui-ci était sur le point d’aller s’isoler avec une jeune femme qu’il tenait par la main. Il acquiesçât simplement d’un signe de tête, le regard plongé dans son verre de whisky. S’il avait pu, le jeune homme aurait voulu s’y noyer, histoire de s’oublier un peu. Une fois de plus, Adam l’avait traîné ici sans lui laisser le choix, persuadé que son petit frère pourrait penser à autre chose qu'à sa bible l’espace d’une soirée. Et pourtant... Non seulement Luya n’avait pas pour objectif de salir son âme d’avantage cette nuit-là mais quand bien même on parviendrait à lui faire changer d’avis, ce n’était pas ce qu’il avait sous les yeux qui provoquerait une quelconque réaction physique de sa part. Il porta son verre jusqu’à ses lèvres et sentit couler le liquide brun le long de sa gorge et lui remplir l’estomac. Luya savait que la prochaine heure risquait d’être l’une des plus longues et ennuyeuses de sa courte existence ; autant faire en sorte de la rendre plus agréable.

Ses yeux se baladaient dans la pièce, ne trouvant rien de particulièrement intéressant qui mériterait qu'on s'attarde dessus. Il connaissait par coeur le moindre recoin de ce club, au point de se sentir capable de le dessiner les yeux fermés. Et pourtant, il détestait tout ce qu’il voyait ; de la simple chaise vide à côté de lui jusqu’aux grands rideaux rouges de l’autre côté de la pièce. À cet instant, le veilleur de nuit aurait tout donné pour pouvoir disparaitre et ne plus jamais revenir. Il ne supportait plus de devoir mentir à son frère au point d’assister à ce genre de spectacle qui lui donnait irrémédiablement la nausée - ou peut-être était-ce le whisky ? Après tout, il était assez intelligent pour trouver un prétexte crédible qui lui permettrait de s’éclipser et d'aller attendre son frère dans la voiture. Mais à chaque fois qu’il se retrouvait coincé entre ces quatre murs, quelque chose l’empêchait de faire un seul mouvement. C’était plus fort que lui ; il préférait subir les excès de son aîné de temps à autre plutôt que d’affronter son regard une bonne fois pour toute. Jamais il ne parviendrait à parler de Scott ouvertement à qui que ce soit. Cette simple idée lui retournait l’estomac à chaque fois qu’elle lui traversait l’esprit. Personne ne devait jamais savoir pour la simple et bonne raison que ce n’était pas normal. Et comment pouvait-on dire à son entourage qu’on a été créé différemment ?

Luya fit signe au garçon de lui apporter la même chose. Il ne savait plus exactement combien de verres il avait vidé depuis son arrivée, et de toute façon peu lui importait. Adam lui avait bien recommandé de s’amuser et c’était bien là la seule distraction qu’il appréciait. Le regard vide, il observait les danseuses qui s’agitaient devant lui, récitant quelques prières dans sa tête. Si Dieu pouvait l’entendre et abréger ses souffrances, ce serait avec plaisir... Écoeuré par toutes ces visions, Luya tourna la tête à gauche, espérant ainsi chasser toutes ces images de son esprit. Il n’avait pas remarqué qu’il n’était plus seul devant ce podium. Sa voisine n'était guère plus âgée que lui, à moins qu’elle ne soit plus jeune - dans la pénombre de ce lieu sordide, il était difficile de discerner les visages des spectateurs. Elle était brune et d’ici, son regard semblait aussi froid que les quelques glaçons qui trainaient dans le verre du jeune homme.

« Laisse-moi deviner... Toi aussi on t’a traînée de force ? »

Le beau brun avait parlé sans réfléchir - chose qui ne lui arrivait que lorsque le sang commençait à se faire rare dans l’alcool qui coulait dans ses veines. Il sourit néanmoins, essayant de ne pas perdre la face. Après tout, elle pouvait être ici pour de multiples raisons ; c'était peut-être une danseuse qui venait de quitter la piste ou qui n’allait pas tarder à la rejoindre, une amie ou la soeur de celle qui se trémoussait vulgairement à deux mètres de là, ou encore la patronne des lieux (à une heure pareille, tout était possible). De toute façon, elle ne pouvait pas être dangereuse, et même si Luya évoquait clairement la raison de son ennui, elle n’allait certainement pas faire circuler l’information dans toute la boîte. Dans le pire des cas, il pourrait toujours attendre son frère ailleurs ; si tout se passait au mieux, Adam serait alors témoin de cet échange verbale avec cette charmante inconnue et serait ainsi rassuré... Persuadé qu’il n’avait donc plus rien à perdre, Luya n’attendit même pas qu’on lui réponde avant de reprendre la parole.

« Je t’offre un verre ? »

Il y avait peut-être une chance pour que la soirée ne soit pas si ennuyeuse que ça, au final...

Elle ne savait même pas ce qui l'avait traînée ici, en tout honnêteté. « Non, c'est faux » , se morigéna-t-elle mentalement. « Tu sais très bien ce qui t'a poussée à venir ici... » persifla la petite voix de sa conscience, celle-là même qu'elle avait fini par surnommer Jiminy Cricket, en référence à Pinocchio.
Amber Grazia était d'une humeur étrange, ce soir-là. Elle était plantée en plein milieu de l'entrée du club, dans lequel elle avait eu l'occasion de revenir à plusieurs reprises. Un club comme un autre, un bar comme un autre...Et surtout, des strip-teaseuses parmi tant d'autres.
Si elle était totalement raccord avec elle-même, elle se serait permise de s'asseoir ouvertement au comptoir, de commander une quelconque boisson et de regarder, presque lubriquement ; les jolis corps tout en courbes des femmes onduler au rythme de la musique.
« Regarde-toi », songea-t-elle, misérablement. « Tu te transformes en mâle obsédé par les seins et les fesses. Félicitations Amber, tu es tombée bien bas... »
Tandis qu'elle hésitait sur la conduite à adopter, ses yeux parcouraient la pîèce, sans toutefois oser s'attarder sur les quelques faciès intéressants qu'elle apercevait. Elle opta alors pour la solution « battre en retraite », dans un coin sombre ; où elle passa quelques minutes, histoire de s'habituer à l'obscurité et à l'ambiance de l'endroit.
Après un verre de vodka vidé cul sec, elle finit par s'armer de courage alcoolisé – tout relatif – et s'enhardit jusqu'à aller s'asseoir pile en face de la petite scène dégagée de sorte que les « danseuses » puissent faire profiter tout un chacun de leurs performances. 
Après quelques minutes hasardeuses, elle commença à se sentir à peu près à l'aise. Pile dans sa ligne de mire, se trouvait la femme de sa vie. Tout du moins, physiquement. Elle était brune, dotée d'une poitrine convenable mais qu'Amber jugeait réelle et avait les yeux légèrement gris. La couleur préférée de la jeune femme.
Soupirant et se forçant à détourner le regard, elle essaya de déterminer quel pourcentage de chances elle avait de rencontrer avec l'inconnue. Pis encore, elle tenta de deviner si elle était hétérosexuelle ou si, par chance, elle préférait les filles. Impossible de compter là-dessus, elle était actuellement en train de faire les yeux doux à une poignée d'hommes, gras, qui riaient ouvertement pour masquer leur excitation.
« Bande de porcs », jura mentalement Amber, tentant de réprimer le dégoût que lui inspirait la scène, malheureusement trop souvent vue.
Elle se tourna alors franchement vers le bar, sur le point de faire signe au barman. C'est alors que ses yeux captèrent un mouvement, sur sa droite. Il émanait d'un jeune homme, brun, le visage plutôt ordinaire, ses yeux bleus brillant comme des saphirs. Surprise de trouver quelqu'un qui paraissait environ son âge, elle battit en retraite derrière un masque froid comme la glace.
Cependant, cela ne suffit visiblement pas à l'empêcher de lui adresser la parole. Malgré elle, elle leva mentalement les yeux au plafond. « Encore un dragueur de supermarché », songea-t-elle.

« Laisse-moi deviner... Toi aussi on t’a traînée de force ? »

« Tiens donc, peut-être que je me suis trompée », estima la jeune femme, jaugeant du regard l'inconnu. Après quelques minutes d'examen discret, elle jugea qu'il n'était pas le type d'homme qu'elle détestait d'habitude. Il avait peut-être une chance d'être sympa...

« Je t’offre un verre ?  »

Oh...Un verre. Bon...Pourquoi pas, après tout ?
Elle s'éclaircit la gorge, et décida de lui octroyer un demi-sourire, qui allait certainement l'encourager. Elle espérait juste qu'il n'allait pas essayer de la mettre dans son lit. Auquel cas, elle était prête à lui révéler la vérité, sans même attendre que le verre en question arrive. C'était peut-être un peu trop brusque comme entrée en matière, non... ?

« Je veux bien, merci. C'est sympa. Je prendrai...une vodka orange, s'il te plaît.  »

Elle patienta quelques secondes, avant de reprendre :

«  Je suppose que je viens ici de mon propre gré...Mais ça n'a pas l'air d'être ton cas, vu l'enthousiasme qu'on lit sur ton visage !  »

Elle sourit franchement cette fois, espérant ainsi montrer à l'inconnu qu'elle plaisantait.

«  Au fait, moi c'est Amber. Enchantée.  »

Elle esquissa un nouveau sourire, avant de reporter son attention sur la danseuse qui avait capté son attention, puis de nouveau sur l'inconnu.

«  Laisse-moi deviner...Tu es gay, non ?  »

Sans plus attendre, Luya s’était tourné vers le bar pour commander une vodka orange et un double scotch. Même si la jeune femme semblait plutôt réceptive à son approche maladroite, il savait qu’il aurait besoin d’une bonne dose d’alcool pour réussir à trouver un sujet de conversation intéressant. Et heureusement, les boissons des deux jeunes gens ne se firent pas attendre bien longtemps.

« Je suppose que je viens ici de mon propre gré...Mais ça n'a pas l'air d'être ton cas, vu l'enthousiasme qu'on lit sur ton visage ! » reprit alors la jeune femme.

Luya ne prit pas la peine de répondre à cette plaisanterie ; il était inutile de s’étaler sur les raisons qui l’avaient mené jusqu’ici. Il ne s’était jamais confié à qui que ce soit, cette inconnue n’allait certainement pas lui tirer les vers du nez aussi rapidement. Et puis, après tout, elle semblait avoir compris le profond dégoût que ce genre de lieu pouvait inspirer à Luya, ce n’était pas la peine d’en rajouter. Une nouvelle fois, elle rompit le silence qui menaçait de s’installer. Ainsi, elle s’appelait Amber. Le beau brun sourit à son tour, avant de prendre la parole.

« Luya, enchanté également. »

Le veilleur de nuit s’attendait à ce qu’Amber lui demande de se répéter. Entre la musique et les rires gras qui les enveloppaient, il était fort probable qu’elle ne saisisse pas ce qu’il venait de dire. Sans parler de la rareté de son prénom qui provoquait généralement des tas de réactions imprévisibles de la part de ses interlocuteurs. C’était à se demander s’il n’était pas le seul Luya sur cette fichue planète. Quoi qu’il en soit, il était réellement ravi de cette rencontre nocturne - même si ces deux-là se contentaient de quelques mots autour d’un verre, Luya savait que le temps passerait nettement plus vite. Les danseuses continuaient de s’agiter aux quatre coins de son champs de vision et il était particulièrement difficile de les éviter. Alors le garçon décida de se concentrer sur le récipient transparent qu’on venait de poser juste devant lui, avant de tirer un billet de la poche de son jean pour le tendre au serveur. Par la suite, il se contenta de lever son verre en direction d’Amber afin de trinquer en l’honneur de cette soirée. Ce qu’elle dit au moment où leur regard se croisèrent réussit à lui glacer le sang, malgré tout l’alcool qui courait déjà dans ses veines.

« Laisse-moi deviner...Tu es gay, non ? »

S’il avait eu la bouche pleine, Luya aurait très certainement recraché son whisky aussi rapidement qu’il l’avait ingéré. Au lieu de cela, c’est une simple bouffée d’oxygène qui se coinçât douloureusement au milieu de sa gorge, provoquant une toux bruyante et incontrôlable, digne d’un personnage de dessin animé. Même s’il ne répondait pas encore à la question quelque peu intrusive de cette connaissance récente, il savait néanmoins qu’il était déjà démasqué. Qui pouvait réagir de cette manière à moins de se sentir coupable du crime dont il était accusé ? Discrètement, Luya jeta un coup d’oeil vers la porte derrière laquelle son frère aîné avait disparu, quelques secondes auparavant. Après tout, Adam aurait très bien pu revenir sans se faire remarqué, le bruit de ses pas couvert par le tumulte de cet enfer. Car le plus grave dans l’histoire n’était sûrement pas le fait que Luya puisse effectivement être homosexuel ; le pire résidait dans la simple idée que la nouvelle parvienne un jour jusqu’aux oreilles de son frère. Luya ne s’était jamais imaginé une telle scène, mais il savait pourtant qu’il la craignait plus que toute autre chose au monde. Le jeune homme reprit rapidement ses esprits et un léger sourire vint se dessiner au bord de ses lèvres.

« Ça se voit tant que ça ? »

Il lui était encore trop difficile de confirmer franchement les pensées de la jeune femme, ou d’utiliser les mêmes mots.

« Du coup je me permets de te retourner la question... Il y en a forcément un de nous deux qui apprécie ce spectacle, non ? »

Son verre de whisky disparut rapidement tout au fond de sa gorge, réchauffant ses entrailles, lui donnant ainsi le courage d’aborder cette conversation plutôt intime.