Mains dans les poches, Curtis marchait d’un pas rapide le long de l’avenue. De colère, il avait quitté le restaurant où Missy et lui fêtaient la Saint Valentin. Enfin fêtaient… c’était vite dit. A l’origine, ils avaient réservé dans un grand restaurant, assez chic, plutôt connu. Il fallait réserver des semaines à l’avance pour être sûr d’avoir une place et cette dernière avait bien failli leur passer sous le nez à cause du travail de Missy.
Si Curtis avait la chance de travailler à domicile – bien qu’il avait hâte d’avoir assez d’argent pour ouvrir un cabinet ailleurs – ce n’était pas le cas de Missy qui bossait au zoo de la ville. Et même si le zoo n’était pas loin de chez eux, il n’était pas rare qu’elle rentre tard. Et ce soir, le soir de la Saint Valentin, elle avait osé arriver encore plus tard que d’habitude. Si bien que leur réservation avait failli leur passer sous le nez. Curtis avait dû faire des pieds et des mains pour conserver leurs places et il était donc sur les nerfs, fâché et déçu de l’attitude de celle qui partageait sa vie. Pourquoi prenait-elle toujours les choses à la légère ? Ca commençait vraiment à le fatiguer.
Dans un sens il comprenait qu’elle soit occupée et qu’elle vive à fond son travail, sa passion. Mais pour ce soir là, il estimait qu’elle aurait pu faire un minimum d’effort. Du coup, il avait la sensation qu’elle n’en avait rien à faire de cette fameuse soirée. Certes, la Saint Valentin était un soir comme un autre après tout… mais pour Curtis, c’était surtout histoire de marquer le coup, de les rapprocher. C’était raté. Dire que c’était surtout la faute des femmes, à toujours vouloir un truc important ce jour là. Pour le coup, Curtis était tellement agacé de cette attitude qu’il avait fini par s’en prendre à elle, à critiquer tout ce qu’elle faisait. S’ensuivit une dispute qui le conduisit dehors, histoire de prendre l’air.
Là, même s’il croisait quelques couples dans la rue, il se sentait seul, un peu plus détendu. Quelque part, il avait envie de retourner au restaurant, de calmer le jeu et de profiter de la soirée. Mais d’un autre côté, il lui en voulait et ne voulait pas non plus s’écraser devant elle. Il ne ferait rien sans excuses, c’était décidé ! Bon, pour ça, il faudrait encore qu’il rejoigne le restaurant… Car il doutait que Missy le rejoigne. Pour ça il aurait fallu qu’elle sache où il était et en plus c’était le risque de voir leur réservation disparaître définitivement. Dire qu’ils n’avaient entamé que l’entrée… Quel gâchis.
Assez loin maintenant, Curtis stoppa et poussa un long soupir. Il se retourna et regarda derrière lui, comme s’il arrivait à voir le restaurant d’ici. Missy se sentait-elle mal ou était-elle en train de draguer le premier serveur venu. Cette seule pensée fit fulminer Curtis sur place. Secouant la tête, il tenta de la chasser puis fit le chemin en sens inverse. Ou tout du moins, il essaya…
Au départ, il avait juste cru perdre l’équilibre en se mettant en route trop vite. Mais il se rendit rapidement compte qu’il n’y avait pas que lui qui tombait. Le sol tremblait, tout autour de lui remuait dangereusement. Des cris retentissaient, des bruits sourds confirmaient la chute d’objets sur le sol… Curtis comprit rapidement ce qu’il se passait et se rendit alors compte de l’ampleur de la catastrophe. Ce n’était pas juste une petite secousse de rien du tout, loin de là. Le sol se déchirait, les bâtiments se fissuraient… Peut-être même allaient-il s’effondrer… C’est là qu’il pensait à Missy, au fait qu’elle se trouvait dans le restaurant… seule. Le cœur de Curtis se mit à tambouriner dans sa poitrine à la seule pensée qu’elle puisse se retrouver coincée, blessée ou… pire encore.
Aussi rapidement qu’il le put, il se remit sur ses pieds et couru plus ou moins dans la direction du restaurant. C’était bien plus difficile qu’il ne l’aurait cru. Tout le monde fuyait ou en tout cas essayait, en sens inverse. Il manqua de se faire écraser une fois ou deux par des objets qui s’écroulaient mais il parvint à rejoindre la rue du restaurant. Sauf que ce dernier ne tenait debout qu’à moitié. Une partie du toit s’était effondrée, provoquant un trou en son centre. Cette fois, le cœur de Curtis stoppa quelques secondes, comme si l’évidence s’offrait à lui : Missy était sans doute morte.
Seulement, il n’acceptait pas cette idée. Elle lui était intolérable. Que ferait-il sans elle ? Il avait besoin d’elle, elle n’avait aucun droit de l’abandonner ! Sans réfléchir plus que ça, il se dirigea vers la porte et tenta de l’ouvrir, en vain. L’éboulement avait bloqué la porte, rendant son accès impossible. Alors il contourna le bâtiment et entra par l’entrée de service, ouverte. Des gens avaient probablement fuis par là… Curtis s’y engouffra, manquant de tomber plus d’une fois. C’était un vrai terrain glissant. Approchant péniblement de la salle de repas, il se mit à hurler.
« Missy !!!! MISSY !!! »Il priait pour qu’elle soit consciente… et surtout, vivante.