Dimanche 8 Mars 2015, 9:45 AM.

« Je serai de retour dans deux heures maximum, » annonça son nouveau protecteur en passant sa veste. Comme Riley restait silencieuse, il lui lança un regard appuyé et essaya tant bien que mal de dissimuler son agacement. Hors de question qu’il quitte cette maison sans avoir sa parole qu’elle écouterait sa règle numéro un. L’intéressée leva les yeux au ciel avant de capituler. « Et je resterai sagement ici, à attendre. Dans le cas d’une urgence au foyer, je dois absolument appeler et prévenir avant de m’y rendre. C’est bon, j’ai bien récité comme il fallait, j’ai droit à ma gommette ? » Elle s’énerva d’un coup et Ryan en fut interloqué : n’avait-elle pas dit oui à cette condition, pourtant ? Plutôt que de monter sur ses grands chevaux et risquer une dispute, l’US Marshal soupira et lui répondit calmement. « Riley, tout ce que j’impose, tout ce que je fais, c’est pour… » « Pour me protéger. Oui, je sais. » Elle sembla se détendre, réalisant qu’il avait entièrement raison. Il ne l’enfermait pas chez elle pour l’ennuyer, mais parce qu’elle courait un réel danger : celui d’être retrouvée par les C-Notes. « Je suis désolée. A tout à l’heure. » Il esquissa un sourire et quitta le domicile. Il ne lui avait pas dit où il allait, et elle ne le lui avait pas demandé non plus. Peut-être rejoindrait-il le WITSEC de Los Angeles pour prendre des nouvelles de l’enquête. Ou bien peut-être allait-il à la rencontre de famille ou d’amis. Après tout, Ryan avait sa propre vie. Il ne pouvait pas la mettre entre parenthèses, même dans de telles circonstances. D’accord, son travail exigeait qu’il protège un ancien témoin en danger ; ceci étant, il restait un homme avant d’être un Marshal. Un homme avec son propre entourage. Riley ne pouvait pas lui en vouloir de la coincer à la maison pendant deux heures afin de décompresser en compagnie de proches. Elle le comprenait. Car si elle pouvait en faire de même, elle n’hésiterait pas une seule seconde…

Ses parents lui manquaient. Son frère lui manquait. Ses amis aussi. Environ un mois plus tôt, quand Ryan avait fait irruption dans sa vie, apportant avec lui une terrible nouvelle, son univers s’était complètement écroulé. Riley avait été obligée de dire au revoir à Darren, Eleanor et Devon. Cela lui avait déchiré le cœur. Bien sûr, c’était réconfortant de se dire qu’ils savaient pourquoi, qu’ils comprenaient et la soutenaient dans son choix de combattre plutôt que de fuir. Mais en attendant, afin de les protéger, Riley devait faire comme s’ils n’existaient pas. Ryan l’avait prévenu que le gang, désireux de se venger après avoir perdu trois membres importants à cause de son témoignage, risquaient de s’en prendre aux Lehane. Œil pour œil, dent pour dent. Riley les avait privés de leur « famille », alors ils la priveraient de la sienne avant d’asséner le coup de grâce. Ce n’était qu’une supposition de la part du WITSEC et de l’agent en charge du dossier, mais ça restait une possibilité. C’était largement suffisant pour que Riley accepte de couper les ponts. Ses parents et son frère adoptifs, qu’elle aimait plus que tout au monde, ne devaient en aucun cas se retrouver mêlés à cette histoire. Il s’agissait de sa décision, son combat. Et s’ils se faisaient tuer par sa faute, parce qu’elle n’avait pas fait assez attention, alors jamais elle ne s’en relèverait.

Avec ses amis proches, c’était complètement différent. Ils n’avaient aucune idée de la situation dans laquelle Riley se trouvait à l’heure actuelle. Ils appelaient, laissaient des messages, passaient la voir alors qu’elle travaillait au foyer pour être sûrs de ne pas la rater. Il lui fallait alors inventer des excuses justifiant son silence radio ou son refus de participer à une soirée. Bien souvent, elle évoquait son travail – l’arrivée de nouveaux enfants, les réparations suite au séisme, l’administratif dont elle ne voyait pas le bout, la réorganisation après le départ de certains employés ou bénévoles… Riley était fatiguée de devoir mentir mais surtout, déprimée à l’idée que tout ne s’arrangerait peut-être pas de sitôt. Combien de temps allait-elle pouvoir tenir ? Elle avait beau se rappeler que c’était pour les protéger, elle avait peur. Peur que son comportement éloigne ses amis. Qu’ils prennent marre de ne jamais la voir et décident de ne plus la contacter. Et que, quand tout serait fini et qu’elle serait enfin en mesure de les réintégrer à sa vie, il serait trop tard. Son portable se mit à vibrer sur la table basse du salon, sortant Riley de ses sombres pensées. Elle saisit le smartphone et émit un rire nerveux en découvrant l’identité de l’appelant. Car justement, Ingrid était la représentation parfaite de cette peur…

Depuis un mois, Riley s’arrangeait toujours pour être occupée ou en déplacement dès lors qu’Ingrid arrivait à Safe Haven pour ses cours de soutien : de cette façon, elles n’avaient pas à se croiser. Elles s’étaient échangé quelques messages et quelques coups de fils depuis Février, s’étaient également vues une fois juste après l’arrivée de Ryan, mais pas davantage. Ce qui était bien loin de leurs habitudes, il fallait l’admettre. Tout comme avec ses autres amis, Riley balançait un certain nombre de fausses excuses à Ingrid lorsqu'elle voulait organiser une sortie ou passer la voir. Jusque-là, ça avait fonctionné, même si la jeune blonde se montrait de plus en plus ennuyée par le comportement de Riley. Quant à cette dernière, elle faisait comme si rien n’avait changé, comme si tout allait bien, espérant retarder au maximum le moment où Ingrid la confronterait. Car elle n’était pas stupide : elle finirait par se douter que quelque chose n’allait pas…
Pour le moment, Riley n’avait pas le cœur à décrocher, sachant exactement ce qui se passerait : un dimanche ensoleillé où aucune des deux ne travaillait, Ingrid allait sans doute l’inviter à faire une balade près de la plage et s’arrêter boire un verre. Il lui faudrait alors dire non, avancer un nouvel empêchement, un nouveau mensonge. Pire que de ne pas en avoir le cœur, Riley n’en avait tout simplement pas la force.

Elle refusa l’appel, laissant la boîte vocale prendre le relais, et attendit quelques minutes. Aucun message n’avait été laissé. Poussant un soupir de détresse à fendre l’âme, la jeune femme s’enfonça dans son canapé et ferma les yeux. Ils la piquèrent bientôt, et elle comprit que si elle ne trouvait pas quelque chose à faire immédiatement afin de s’occuper l’esprit, elle risquait de fondre en larmes. Allez, ne te laisse pas abattre. Si tu pleures, alors ils marquent un point contre toi… Et il est hors de question que tu leur donnes le moindre avantage ! Comme pour valider cette pensée, un aboiement lui fit soulever les paupières. Son chien la regardait, assis devant la baie vitrée menant à l’arrière de la maison. « T’as raison ! Il faut profiter de cette belle journée ! On y va, mon grand ! » Rassérénée, Riley se leva et enfila ses bottes avant d’attraper sa veste. Puisqu’elle ne pouvait pas sortir, alors elle allait passer du temps avec ses animaux. Coupée de presque tout le reste, savoir qu’elle pouvait compter sur leur présence réconfortante la rassurait...