Mercredi, 15h. Il avait décidé de la rejoindre au Starbucks, c’était un lieu public et n’importe quel barista pourrait lui venir en aide si elle décidait de faire une scène, de le menacer de s’ouvrir les veines, de grimper sur la table en lui hurlant de la prendre là, tout de suite, et d’oublier leur passé houleux pour se concentrer sur leur avenir selon elle prometteur. Jay avait les mains moites, malgré tout ce qu’il pouvait dire et penser, Sarah avait été un point tournant dans sa vie, le malmenant du mieux et du pire qu’elle avait pu, mais lui faisant aussi découvrir l’amour, la passion, l’engagement. De l’époque où elle avait été sa copine, il lui avait tout donné, s’était sacrifié pour elle, aurait prit 1000 balles pour la défendre, aurait tout fait pour lui décrocher la lune et la rendre heureuse. Mais elle avait la malédiction d’être instable, sensible, hypersensible même, et de lui avoir fait vivre un enfer dès l’instant où elle avait décidé de rompre avec lui, de laisser parler ses doutes et ses soupçons et de croire qu’il lui mentait, qu’il la trompait, qu’il s’assurait de lui briser le cœur savamment depuis longtemps. Et elle ne s’était pas arrêté là, oh non, et lui avait fait passer toutes ses frustrations, ses regrets, son malheur de vivre les mois suivants, revenant toujours à la charge et d’une façon différente, l’empêchant de tourner la page, d’accepter la rupture, d’aller de l’avant avec sa vie. Il l’avait aimé, il l’avait adoré, il l’avait chéri, il l’avait perdu, il l’avait regretté, il l’avait fui, il l’avait haït. Puis elle était partie. Loin, sur un coup de tête, très longtemps. Son silence avait été pesant au départ, mais avait eu le meilleur des effets sur l’irlandais et il avait enfin pu tirer un trait sur leur histoire et se concentrer sur autre chose. Son boulot, son futur bar, ses études, Ashleigh… Tant de beaux projets et de gens sains l’avaient entourés durant ces 3 dernières années qu’il réussissait parfois, certains jours, à ne pas penser à elle. À ne pas se demander où elle était, ce qu’elle faisait, si elle vivait toujours. Il ne l’aimait plus comme avant, mais il n’était pas un sans cœur non plus.

C’était sûrement la raison pour laquelle il avait convenu d’un rendez-vous avec elle ce jour-là. Elle était revenue, quelques jours plus tôt, et n’avait pas traîné à lui téléphoner. À pleurer dans ses oreilles, à lui passer sa peine et son bouleversement. Elle ne lui avait rien demandé et il avait pris la liberté de lui dire qu’il la reverrait, qu’ils parleraient. Il le fallait, pour conclure, pour régler leur histoire, pour l’aider à passer à autre chose elle aussi. Il était temps. Mais Jay savait très bien que ce ne serait pas aussi facile et nerveux, il regrettait encore un peu d’avoir organisé ce meet-up, de la voir maintenant entrer dans le café, balayer la salle du regard, et s’avancer lentement vers lui, insécure, perdue. Au moins, elle n’était pas dans un mood agressif ce jour-là et il s’en sortirait peut-être sans cris et sans larmes. C’était peu probable, mais il espérait quand même, et poli il lui fit un signe de la main, la saluant doucement, se levant à son arrivée. Son café serait froid parce qu’il était là depuis 1h environ, à se triturer les mains et à snober son breuvage, mais ça n’avait plus d’importance. Ce n’était que pour la forme après tout.

« Salut, Sarah. » debout, il plongea son regard dans ses prunelles, tentant de la calmer, ou du moins de voir dans ses yeux s’il s’était fait des idées et que finalement elle n’en avait plus rien à faire de lui et qu’il stressait pour rien. « Ça va? »

Le con. Il venait de lui ouvrir bêtement la porte. Si ça se trouvait, elle en profiterait pour tout lui déballer. Pour lui reprocher ces 3 ans de misère, pour lui remettre sur le nez tout ce qu’elle lui avait déjà lancé jadis, ce qu’il lui avait supposément fait vivre. Ou alors elle ne dirait rien et resterait de glace. Si imprévisible, si changeante. Il n’avait encore jamais vraiment réussi à la lire complètement lorsqu’elle décidait de se fermer à lui et aujourd’hui encore, il avait de la difficulté à déchiffrer ce qu’elle voulait vraiment.

La jeune femme qui se tenait devant lui n’avait pas changé malgré les années. Alors que Jay s’imaginait tomber sur une Sarah qui s’était métamorphosée, qui avait évolué vers quelque chose d’autre, qui avait acquis les mimiques, les traits de la nouvelle ville qui l’avait accueillie, de cet autre Univers pour lequel elle l’avait laissé, il se rendait compte que tout était toujours au même stade. Ses yeux étaient toujours voilés par la douleur, par l’inquiétude, par la fureur aussi. Comme si un feu brûlait toujours là, au creux de son ventre, mais qu’elle le retenait, qu’elle avait appris à le cacher avec toute la tristesse qu’elle accumulait au travers. Ça avait toujours été un sujet de questionnement chez le garçon, et de croiser les prunelles troublées de Sarah ne le lui rappelait que trop bien. Combien de fois avait-il cherché ce qui pouvait bien l’animer à ce point et la détruire en même temps? La belle n’était qu’un ramassis d’émotions, de tiraillements, de doutes et de rancunes et même si déjà au départ il la savait sensible, il n’avait plus l’énergie nécessaire pour arriver à vivre son flot de sentiments en rafale. Plus maintenant, plus après avoir vécu tout ça avec elle et contre elle surtout. Il avait donné, il le sentait, et même s’il avait cru ressentir autre chose pour Sarah, Jason doutait avoir la patience et le calme nécessaires pour se réembarquer dans une foule de hauts et de bas. Dans une relation en montagne russe qui lui briserait le cœur de nouveau.

"Ca va toi ? Moi non tu le devines... écoute j'y arrive pas! Je n'peux pas ..." murmura Sarah, à peine après être arrivée à sa hauteur, en même temps presque qu’elle le saluait.

Jason ne saurait pas dire ce qui serait advenu d’eux si elle avait changé. Si elle était revenue Dieu sait d’où avec un tout autre caractère, avec cette boule de feu, cette bombe à retardement de retirée de ses tripes. Si elle avait soigné ses problèmes, et son cœur, qui sait où ils en seraient maintenant?

« Je… je sais pas quoi dire. » balbutia Callaway, sincère, se passant maladroitement la main dans les cheveux. « Assieds-toi, ça ira peut-être mieux. »

Il lui pointa la chaise face à la sienne, avant de s’installer lui-même. L’irlandais prit une longue inspiration, apportant son café à ses lèvres, jaugeant la situation. Soit ils allaient au bout de l’histoire, ils en faisaient le tour et tentaient tous les deux d’en sortir grandis, soit il prenait la fuite parce qu’il avait pas l’envie de se claquer une nouvelle crise de nerfs de Sarah, surtout après toutes ces années où il avait pu enterrer ces mauvais souvenirs et passer à autre chose. Tourner la page, quoi. Il posa ses prunelles sur la jeune femme torturée face à lui et eut un long soupir de malaise, de nostalgie aussi. 3 ans plus tard et toujours dans la même merde, eut-il envie de statuer, mais ça aurait probablement créer une dispute entre eux de dire un truc pareil. 3 ans après, et tous les deux se retrouvaient au point de départ. Des quasi-inconnus avec une histoire en pics à glace entre eux, qui tentaient de recoudre les morceaux, de s’aider mutuellement à avancer, de faire quelque chose de bien pour l’autre parce qu’à un moment, il avait été tout pour elle et elle avait été tout pour lui.

« Tu reviens de loin. » déclara-t-il, ayant entendu un peu partout de leurs amis communs des rumeurs qu’elle avait quitté la ville il y avait 3 ans. « Tu es revenue depuis longtemps? »

Le pauvre Callaway patinait, tentait de faire la conversation, de remplir de belles paroles ce douloureux fossé entre eux et de faire les choses bien et poliment. Un vrai bon garçon, le genre de mec qui arrive à calmer les foules et à apaiser les malaises du revers de la main. Quand ils se produisent dans la vie des autres. Là c’était dans la sienne et laissez-moi vous dire que c’était un vrai merdier. Il inspira, jetant un bref coup d’œil autour d’eux pour voir si personne ne ressentait le même trouble, ne voyait que tout d’un coup une tension dans l’air s’était installée et que l’orage menaçait d’éclater à tous les instants. Puis, son regard se redéposa sur Sarah et il eut un élan de pitié, de peine en la voyant être si fragile, si désemparée devant lui. Presque implorante.

« Tu y arriveras tu sais. T’es forte, t’en as vu d’autres. Et tu as très bien vécu sans moi durant 3 ans. Il faut que t’apprennes à te respecter et à aller de l’avant Sarah… » la rassura-t-il, prenant du bout des doigts sa main, se voulant calme et apaisant.

« Non, non… Je n’peux pas Jay. C’est impossible ! Je n’suis pas forte du tout. Pendant trois ans, tu as hanté mon esprit. Me respecter ? Mais merde pourquoi ? Je ne suis rien … rien sans toi. »

Jay frissonna. Qui était-elle, cette belle brunette devant lui, cette femme qu’il avait tellement estimé, celle qui lui avait fait vivre plusieurs des meilleurs, et le pires, moments de sa vie? Sarah n’était plus celle qu’il avait connu et tout en elle dégageait autre chose. Il ravala sa salive au son des mots de la jeune femme, fronça les sourcils d’incompréhension, levant la tête vers elle pour la dévisager doucement. Il savait qu’elle avait du courage. Il l’avait vu et revu en faire preuve, à différents stades de sa vie. C’était une fille, une femme forte qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Qui avait un sale caractère, mais qui savait rester juste et intègre jusqu’à la dernière seconde. Elle l’avait soutenu plusieurs fois lorsqu’il croyait chuter à cause de sa vie qui le rattrapait au galop. Gabriel, ses parents… Chaque fois elle lui inculquait un peu de son pouvoir, un peu de son énergie si puissante qui le regonflait à boc. C’était une battante, une amazone, une femme qui savait où elle allait et qui foncerait toujours pour obtenir ce qu’elle désirait le plus. Et là, elle lui disait le contraire? Elle tremblait, elle était pâle, elle cherchait ses mots, elle fuyait son regard. Jason ne la reconnaissait plus du tout et cru que le pire était arrivé. Qu’elle avait perdu sa lueur, son feu dans les trippes, le jour où elle avait quitté L.A. Qu’elle l’avait quitté lui.

« Dis pas ça. » il soupira, la voyant retirer sa main, entendant un pardon glisser de ses lèvres. « Tu crois vraiment ça? Que toi, Sarah Blackwood, la fille qui aurait pu diriger une bande de motards violents du bout des doigts n'est rien sans un p’tit barman irlandais? » il laissa échapper un rire, découragé. « C’est faux et tu le sais très bien. »

Il ne se dévaluait pas, il essayait de lui redonner de la valeur à elle. Parce que malgré tout ce qu’elle lui avait fait vivre, Jason avait un cœur. Il savait que ce n’était pas sain pour la jeune femme de vivre avec des pensées du genre, de se mettre de côté au profit d’un ex qu’elle aurait dû oublier depuis longtemps. Oui, ils avaient eu une histoire et oui, elle s’était terminée abruptement. Mais c’était la vie. Certaines choses se produisaient, on n’avait pas toujours le contrôle dessus, et on terminait majoritairement par une belle grosse surprise de merde qui ne nous faisait pas, mais alors pas du tout envie. Il la détailla de nouveau du regard, silencieux. Pourquoi était-il là? D’abord, pour prendre de ses nouvelles. Il s’inquiétait, malgré tout ce qu’il pouvait dire et laisser paraître. Elle avait été importante dans sa vie, autrefois, et il se demandait si elle allait au meilleur de sa forme maintenant. Ce qu’il voyait devant lui, lui confirmait le contraire. Il sentait aussi que ce n’était pas encore clos, que les choses étaient en suspens entre eux, que tout n’avait pas été dit, pour elle comme pour lui, pour vraiment mettre un point final à cette relation qui avait été aussi destructrice pour tous les deux. Puis il le vit. Le tic qu’il redoutait le plus au monde. La brunette devant lui venait d’agiter nerveusement les doigts de sa main droite. Sans s’en rendre compte, elle s’était trahie. Jay la connaissait assez bien pour savoir que cette mimique signifiait qu’elle était en manque. Alors, elle avait recommencé à consommer? Callaway ne voulait pas le croire.

« Tu… tu t’es trouvé un boulot? Et un appart? Tu ne dors pas dans la rue j’espère? » demanda-t-il, changeant de sujet, voulant oublier ce qu’il avait vu.

Mais le tic restait bien ancré dans sa tête. Jay se ferma hermétiquement, apeuré parce qu’il avait vu, se remémorant plusieurs de leurs disputes alors que Sarah avait touché à peine une ou deux fois à la drogue durant leur relation. Vous comprenez qu’avec ce qui s’était passé à Dublin, le cartel de drogue, le gang de rue, l’assassinat de son frère, Jay en avait soupé des doppés et il s’était fait un mot d’ordre de ne plus jamais en côtoyer de près ou de loin. Oui, il avait des potes qui consommaient du cannabis une fois de temps en temps. Ça, ça passait limite, parce que c’était pas avec eux qu’il couchait et qu’il prévoyait peut-être un jour se marier et avoir des gosses. Mais que sa copine consomme? Mmm, moins intéressant. Sarah y avait touché à peine, juste assez pour éveiller un signal d’alarme chez l’irlandais, et les quelques rumeurs qu’il avait cru entendre à droite et à gauche sur son cas, en plus de l’état dans lequel il l’avait retrouvé lors des ses nombreuses crises de nerfs suite à leur rupture l’avait complètement écoeuré. Mais il s’acharnait? Pourquoi? Parce qu’elle comptait, qu’elle compterait toujours j’imagine.

« J’ai commencé des études… » ajouta-t-il, voulant chasser ces pensées noires, mais il revit les doigts de Sarah s’agiter et, crispé, il serra les poings. « Tu t’es remise à la coke, c’est ça?! »

De la voir comme ça, en manque, et pas que de lui mais de drogue, relança un flot d’émotions que Jay arrivait à peine à contrôler. Sans le savoir, elle venait de l’attirer au fond, avec elle, lui rappelant les pires souvenirs de sa vie, la mort de Gabriel, notamment, et un frisson de dégoût de la vie en général parcouru l’échine de l’irlandais. La drogue. Fléau inutile que les gens s’infligeaient lorsqu’ils n’avaient pas assez de la connerie humaine pour gâcher leur vie. Et Sarah, sa Sarah, l’ancienne qui malgré ses sautes d’humeur était capable de pallier son quotidien avec autre chose que de la câme avait décidé de céder? Il avait du mal à croire que malgré tout ce qu’il lui avait dit lorsqu’elle en prenait occasionnellement avec ses potes, et malgré ce qu’elle lui montrait là tout de suite en hurlant à qui voulait l’entendre qu’elle n’était rien sans lui, elle trouvait le moyen de le décevoir. Comment avait-il pu croire qu’elle aurait au moins changé? Qu’elle serait retombée sur ses pattes, qu’elle aurait appris, évolué? Merde Callaway, réveille-toi. La pauvre te texte et t’appelle en sanglotant à son retour à L.A., vient te rencontrer dans un café toute tremblante et tu t’attends à ce qu’elle te dise que sa vie va mieux? La drogue n’était qu’une excuse. Il cherchait un truc pour lui servir de béquille, pour faire comme s’il lui en voulait pour quelque chose d’autre. La vraie raison de son dégoût? De voir qu’il était encore au centre de son univers. Et donc que logiquement, si elle allait mal, c’était par sa faute.

« Me mens pas Sarah. » la menaça-t-il. « On n’est plus ensembles, tu peux être honnête. Et puis, c’est ton problème à toi si tu as décidé de gâcher ta vie avec ces conneries. »

Il était dur, oui, mais c’était parce qu’au fond il tenait quand même à elle. Elle n’avait plus la place qu’elle convoitait dans son cœur, soit, mais c’était pas pour autant qu’il la laisserait se planter. Et en plus qu’elle lui avait mentionné qu’elle était infirmière maintenant. N’aurait-elle pas dû côtoyer des cas de drogués finis, des overdoses, des bad trips, des câmés qui avaient mal tournés? Elle n’était peut-être pas dans un centre de désintox, mais de nos jours c’était facile de croiser des dépendants à l’hôpital, non? Et ça ne l’avait pas écoeuré… il prit sur lui, avalant une énième gorgée de café, se demandant lui-même ce qu’il faisait là puisqu’il semblait lui faire du mal plus qu’autre chose. Croisant son regard, il décida tout de même d’ajouter, plus calme :

« J’insiste sur le fait que tu es quelqu’un de bien Sarah. Tu te relèveras. T’as pas besoin de toucher à la coke pour être une personne meilleure, tu sais. »

Il le pensait, mais déjà il était trop tard et il le sentait. Son ex lui filait entre les doigts, elle avait de la difficulté à se raccrocher, elle ne savait plus quoi faire et même après trois ans elle n’était pas arrivée à se reconstruire. Même loin de lui. Mais qu’est-ce que ça lui prendrait pour redevenir autre chose qu’une femme paumée et triste? Ce n’était pas une vie de lutter contre ça et contre les larmes, et Jay ne le souhaitait à personne. En grande âme, il lui sourit le plus sincèrement du monde, parce qu’il savait qu’au fond, qu’au fin fond, elle saurait qu’il avait raison. Que oui, elle pourrait l’aimer toute sa vie et regretter le jour où elle l’avait violemment largué, mais qu’en bout de ligne elle reprendrait le contrôle de sa vie. Elle rencontrerait quelqu’un, fonderait peut-être une famille, quitterait peut-être aussi L.A. pour voir le monde de nouveau, dans des circonstances plus positives. Tout ça, il le lui souhaitait de tout son cœur. Le café commençait de plus en plus à être bondé et les gens se succédaient autour d’eux. Jay se prit de panique, se surprenant à voir une blonde au loin et croire qu’il s’agissait d’Ashleigh. Ash, la fille pour qui il s’était battu comme un con, pour qui il avait tout fait pour attirer l’attention et qu’il venait de détruire sans faire exprès. Parce que leur dispute ne s’était pas très bien terminée à vrai dire. Parce qu’ils avaient décidé de prendre une pause, de faire le point. Elle lui manquait, mais il devait aller jusqu’au bout, par s’assurer que c’était elle, la bonne. Sentant le regard de Sarah sur lui, il cessa de fixer la blonde que n’était pas Monaghan et toussota, distrait.

« Désolé, j’étais ailleurs. » s’excusa l’irlandais, avant de changer de sujet. « Je suis content d’apprendre que t’as un bon boulot. Et que tu as retrouvé ton chez-toi. » la blonde le distraya encore une fois en se retournant, mais elle confirma que ce n’était pas celle qu’il aurait souhaité voir. « Qu’est-ce qu’il y a? » Sarah le dévisageait maintenant, et Jason ne comprenait pas du tout pourquoi.

Et elle avouait. Elle lui disait, en le regardant dans les yeux, qu’elle avait recommencé. Qu’elle avait succombé, que la drogue coulait encore dans ses veines, qu’elle n’y arrivait pas sans ça. Jay s’humecta les lèvres, soupirant profondément. Le fait qu’il soit là, aujourd’hui, qu’il ait proposé de se rencontrer pour mettre les choses au clair, partir sur de bonnes bases, avait suffit pour qu’il s’imagine qu’elle serait assez contente de le revoir qu’elle surveillerait ses baskets. Mal jugé, le voilà qu’il se retrouvait devant une junkie, devant Sarah qui était en manque, qui affirmait haut et fort que sans ça, elle n’était pas heureuse. Merde. Il fallait s’y attendre, le pire. Il s’en doutait presque, que ça finirait de cette façon. Qu’il aurait la joie de retrouver son ex dans le même état où il l’avait laissé. Utopique de croire que son départ précipité l’aurait changé? Jason sentait la rage monter en lui tranquillement, plus lentement qu’il l’aurait cru, mais elle était bien là et c’était ça qui était alarmant. La rage de voir quelqu’un qui avait compté plus que tout pour lui à une certaine époque se détruire. La rage de ne pas comprendre pourquoi elle s’acharnait à se faire du mal, pourquoi elle n’avait pas encore compris que c’était tout ce que ça lui prenait. Et surtout, surtout, la rage de la voir le lui annoncer le plus normalement du monde.

« Tu me prends pour un imbécile Sarah? Après tout ce que t’as traversé, après tout ce qui t’es arrivé, après tout ce que t’as fait, tu consommes encore?! » il était hors de lui, bien qu’il tentait de tempérer la situation. « Tu as rechuté depuis longtemps? » il prit une pause, avant d’ajouter, d’un calme cruel : « Ou alors t’as jamais arrêté? »

Il essayait, très fort, de ne pas jouer au père. Il s’était même laissé distraire par une fille à la caisse enregistreuse qui lui faisait penser à Ashleigh de dos. Mais là, c’était trop. Sarah jouait avec sa vie, et comme il la connaissait elle devait limite s’en ficher. Sa vie, elle n’y tenait pas fort pour se faire vivre un tel calvaire, même après que la drogue l’ai tourmenté et l’ait fait tourné pour une hystérique directement en plein dans le visage de Jay. Il avait tout vu, il avait assisté à tout ce qu’elle avait de pire dans le ventre et rien qu’à cet instant, il prévoyait déjà que la carence de coke la rendrait plus fragile, mais aussi plus explosive. Callaway ne se sentait pas d’attaque pour assister à une autre scène de la part de Sarah. Il avait donné encore et encore, et maintenant qu’ils n’étaient plus ensembles il n’avait plus à endurer ça pour rien au monde. Qu’est-ce qui faisait qu’il était encore là, malgré tout? Qu’il prenait une gorgée de son café froid, attendant la réponse de la jeune femme? Qu’il ne la lâchait maintenant plus des yeux, impatient qu’elle s’explique, qu’elle lui donne un motif valide, même si aucun ne pouvait la justifier?

Le remord. De ne pas l’avoir sauvé jadis. De l’avoir lâché, même si elle l’y avait poussé à bout. Il ne se l’avouerait pas, il ne le lui dirait probablement jamais, mais durant son départ il avait cru au pire. Suicide, overdose, maladies… tout ce que vous pouvez imaginer de dramatique lui avait traversé l’esprit la concernant. Et même s’il se résolvait à ne jamais revenir en arrière, elle était humaine, elle comptait pour lui et s’il lui arrivait quoi que ce soit sans qu’il ait pu le voir venir ou sans qu’il ait eu le cran de faire quelque chose pour la changer, il s’en voudrait toute sa vie.

« Tu as un problème Sarah. Un méchant gros problème, et il faut que tu soignes ça avant d’aller trop loin. » il ne la laissa rien ajouter, trop rouge de colère pour lui en donner envie de toute façon. « Y’a des centres pour ça. Y’a des professionnels qui pourraient t’aider à faire un pas dans la bonne direction. »

Comme à son habitude lorsque quelque chose le stressait, lui tenaillait le ventre, l’irlandais s’allumait une clope. Sauf que là, il était à l’intérieur, et que logiquement, la loi l’interdisait. Mais la loi, il s’en balançait. Jay dégaina donc son paquet de cigarettes, en allumant une à la volée et la portant à ses lèvres, tirant dessus rageusement. La bouffée de nicotine suffit à le calmer temporairement, juste assez pour qu’il lève la tête vers elle et qu’il ajoute :

« Je peux t’y conduire si tu veux. »

« Monsieur? » une adolescente de 16 ans venait de lui taper sur l’épaule, le regard semi-réprobateur, semi-terrifié. « Il faudrait que… votre cigarette… » elle pointa la clope fumante. « C’est interdit ici. »

Ils avaient pas perdu de temps à venir faire régner leur loi dit donc. Mais c’était bon, Jason avait eu sa dose nécessaire pour respirer correctement et arrêter partiellement de trembler. « Désolé. » qu’il lâcha, avant d’éteindre sa clope dans un centre de table en genre de pot de fleur, l’air de se foutre carrément de la suite, tant que l’employée lui fichait la paix.

« Alors? »

Ce court interlude ne lui avait pas du tout changé les idées. Il tenait à recevoir la réponse de Sarah, et vite.

Jason attendait. Il ne faisait que ça depuis qu’il était là, on aurait pu croire. Il attendait une réponse, il attendait d’être rassuré, il attendait de pouvoir partir avec la tête vide de craintes. Mais ça ne venait pas. Serait-il surpris si on lui disait que ça ne viendrait plus? Sarah semblait si détruite, si faible, si en manque de drogue qu’elle n’augurait rien de bon. Le regard fuyant, les mains tremblantes, la voix vide, les yeux bouffis et rougis. Il connaissait ça par cœur pour l’avoir vécu souvent, trop. Et il ne tenait pas particulièrement à entrer de nouveau dans le cercle vicieux de l’ex qui se raccroche. Qui veut trop. Quoi qu’elle avait été sympa là-dessus, en foutant le camp tout de suite après qu’il l’ait mis à carreaux. 6 mois à lui faire vivre le calvaire pour 3 ans de disparation silencieuse. Elle s’était rachetée, d’une certaine façon. Mais pas assez. Pas à la voir là, désarmée, faible, suppliante. Il voulait être son ami, il voulait l’aider, mais il se retrouvait à devoir la ramasser à la petite cuillère, encore. Sa cigarette avait aidé à passer sa sensation de frustration extrême un peu, mais il la sentait revenir au galop. Ce n’était pas rien ce qu’il tentait de faire au final. Une intervention, un coup de main, une deuxième chance. Ou une troisième?

Sarah se leva abruptement, le laissant là, la mine perplexe. Où elle allait? Il tourna la tête, la suivant des yeux le temps qu’il la voit entrer comme si de rien n’était aux toilettes. Bon. Callaway soupira, jetant ensuite son dévolu sur la petite serveuse qui était venu l’interpeler tout à l’heure, histoire de voir si elle était toujours dans les parages et l’empêcherait de fumer. Ce qui était bien évidemment le cas, elle était en poste, derrière sa caisse, le regard vers la table du blondinet, prête à aller chercher le gérant si jamais il osait encore avoir besoin de sa dose de nicotine en public pour l’empêcher de péter un câble suite à une rencontre en dents de scie. Et si il allait fumer à l’extérieur, et s’il sortait quelques minutes à peine prendre l’air, se remettre les idées à la bonne place, fumer un peu et passer à autre chose avant d’attaquer le second round avec Sarah? D’un bond, le jeune homme se leva après avoir écrit à la va-vite sur une serviette de papier qu’il était aller cuver son manque de clope dans le parking, et ainsi éviter une scène inutile, et sortit du Starbucks dans un long soupir.

« Comment est-ce que je vais me sortir de tout ça? » se demanda-t-il à voix haute, allumant sa cigarette et tirant dessus comme s’il en avait besoin pour vivre.

Les secondes passèrent. Il oubliait peu à peu sa colère et sa frustration en desserrant tranquillement les poings, suivant de ses prunelles bleues les voitures qui passaient devant le commerce, les comptant comme on compte les moutons avant de s’endormir. « Du con. » pensa-t-il, de jouer au gamin qui veut oublier. Il s’agissait de la réalité, il fallait qu’il assure sinon il s’en souviendrait toute sa vie et regrettait de ne pas avoir tout essayé pour la sortir de là. Si après elle ne s’aidait pas, ce n’était pas son problème. Mais il fallait quand même qu’il ait la certitude d’avoir tout fait pour ne pas qu’elle se plante. De nouveau. Jason finit enfin sa pause-fumée et tira son mégot loin de lui avant de se passer une main dans les cheveux et de tirer la porte vers lui pour rentrer de nouveau dans le café. À peine les pieds dans le Starbucks qu’il remarqua la silhouette de Sarah au loin qui le cherchait des yeux.

« Monsieur? » la serveuse de tout à l’heure venait de surgir à ses côtés et Jay lui répondit par un regard noir. « Elle appelle un certain Jason… elle ne semble pas bien aller… »

Callaway reporta son attention sur la brune, voyant ses lèvres s’agiter, étant très bien capable d’y lire son nom le plus clairement possible. Ni d’une ni de deux il slaloma entre les tables et arriva à sa hauteur, juste assez rapidement pour pouvoir l’agripper et l’empêcher de s’effondrer au sol. Paniqué, exaspéré, il passa en vitesse ses doigts sur le visage de Sarah qui commençait à se couvrir de sueur et dégagea son front pour plonger son regard dans le sien. Merde. Elle venait de prendre une dose, ses pupilles le lui auraient dit par mille. Jay fut tenté de la lâcher mais il se retint, n’ayant pas encore assez de preuves pour prouver ce qu’il croyait. Dans un élan qui dût surprendre la jeune femme, il lui retira sa chemise pour qu’elle se retrouve en soutien-gorge et lorgna sur l’intérieur de ses bras. Le gauche était correct, le droit… montrait le vestige récent d’une piqûre. Dégoûté, il la laissa tomber d’un coup sec et se recula.

« T’as absolument aucun respect, tu le savais ça? Merde Sarah, je viens te dire qu’il faut que t’arrêtes cette saloperie et tu me ries au nez en allant te piquer dans les toilettes? » il était complètement furieux, et malgré le fait que le personnel du café et les clients soient tous tournés vers eux, il ne s’arrêterait pas. « Je peux pas Sarah. Je peux pas endurer ça de nouveau, tes conneries, tes putains de conneries. Je peux pas. »

Il niait violement de la tête la regardant de haut, alors qu’elle était toujours au sol. La marque rouge sur son bras lui sautait aux yeux maintenant, et il ne voyait que cela. Callaway ne voulait pas, mais il commença à faire quelques pas en arrière, prêt à quitter l’endroit, prêt à la laisser se démerder seule. Comme il aurait toujours dû le faire depuis le début.

« Jay ne crie pas! » Debout, elle se tenait face à lui. « Je ne l’ai pas fait exprès crois moi ! Et vous arrêtez de nous regarder ! Jay ne me laisse pas s’il te plait ! Ne fais pas semblant ! Reste …. Pardonne moi. Je changerai s’il le faut mais ne me laisse pas là ! » La jeune femme s’accrocha à son bras. « Tu es tout ce qui compte… »

Il ne savait même pas pourquoi il était encore là. Il ne savait même pas pourquoi il l’écoutait toujours, pourquoi ses yeux se perdaient dans les siens. Elle avait été trop loin. Elle avait abusé, une fois de plus, de sa gentillesse. Il avait cru la revoir changée, il n’avait été que déçu. À nouveau. Entendre sa voix, paniquée, à l’autre bout du café suffit à le ralentir dans son pas décidé, mais il se jurait encore et toujours de ne pas la regarder, de ne plus la regarder. De ne pas lui laisser de chance, sachant très bien qu’elle les gaspillerait de nouveau. Comme à son habitude. Jason sentit toutefois les doigts de Sarah lui enserrer le bras et il ne put que s’arrêter dans sa course, dans sa fuite. Être tout ce qui compte pour elle. C’était de cette façon que la jeune femme le décrivait. Il eut envie de rire mais ça aurait été lui manquer de respect, et il était trop un bon mec, au fond, pour jouer son jeu à elle. Il ne fit donc que tourner la tête légèrement par-dessus son épaule, la détaillant du regard, soupirant par défaitisme.

« Il est trop tard Sarah, tu le sais très bien. Je ne suis plus tout ce qui compte. Ou en tout cas, je ne devrais plus l’être pour toi. C’est fini, c’est fini depuis longtemps. Et ça ne recommencera plus. Tu auras beau me promettre que tu vas changer de toutes les façons possibles, on sait très bien tous les deux que c’est totalement faux. »

Il s’était dégagé en terminant, la sentant tenter de le garder près d’elle encore un peu. Mais c’était la fin. Ça devait être la fin. Les années qu’ils avaient laissées passer entre eux n’avaient pas suffit, et même s’il l’avait vu revenir changée, il aurait toujours eu le doute de la voir se transformer d’une minute à l’autre en ce qu’il détestait le plus d’elle. La drogue, la folie, la dépendance, les menaces… Il avait toujours été bon pour se foutre dans la merde, amoureusement tout autant que dans la vie en général, y’avait qu’ç voir comment il avait merdé avec Ash pour le savoir, et il ne pouvait simplement plus continuer dans ce sens. S’il voulait changer son karma de merde, il allait devoir faire le ménage dans son entourage et garder Sarah près de lui ne lui ferait que du mal. Et elle aussi en souffrirait. Elle en souffrait déjà, et il n’avait qu’entrouvert la porte de l’amitié, c’était pour vous dire.

« Maintenant, tu me lâches s’il te plaît. »

Elle se voulait suppliante de le voir rester, il se voulait suppliant de la laisser. C’était comme ça, c’était la vie. Ils avaient tout les deux autre chose de mieux à faire que de s’autodétruire, et ça ne serait pas aujourd’hui qu’ils recommenceraient à se faire du mal. Jason joint la parole au geste et fit un pas loin d’elle, ne la regardant que peu, juste pour s’assurer qu’elle ne s’écroulait pas de nouveau. Le café était silencieux, tous les yeux étaient braqués sur eux, bien évidemment, et l’irlandais nota de ne plus jamais retourner dans ce Starbucks de malheur pour ne pas avoir à endurer les regards curieux des habitués qui auraient assisté à la cène quelques jours plus tôt. De toute façon, il n’aimait as le café quand il n’y avait pas de crème irlandaise d’ajoutée.

« Je serai prêt à t’écouter, un jour. Quand tu voudras t’aider. Autrement, je n’ai plus rien à faire ici. » il daigna enfin la regarder, déposant sa main sur la porte pour se préparer à la quitter ensuite. « Tu as besoin d’apprendre à te faire confiance Sarah. Et à ne plus dépendre de personne. »

Sur ces derniers mots, Jason passa le pas du Starbucks, sans regarder derrière lui. Il savait qu’un jour ils se reverraient. D’ici là, il espérait de tout son cœur que Sarah arrive à s’en sortir forte et fière. Il savait qu’elle le pouvait. Restait simplement qu’elle le veuille.